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Albert Claveille, digne prédécesseur de Raoul Dautry

Les 18 et 19 septembre 2015 se tiendra à Bergerac un colloque consacré à Albert Claveille (1885-1921), organisé pour célébrer le 130e anniversaire de sa naissance. Avant d’être appelé au gouvernement en tant que sous-secrétaire d’État aux Transports (1916-1917), puis ministre des Travaux publics et des Transports (1917-1920), Claveille avait été nommé le 19 février 1911 à la tête du réseau de l’Ouest-État avec pour mission d’y remettre de l’ordre. D’autres que nous auront à cœur d’exalter son parcours. De notre côté, nous nous contenterons de deux « anecdotes » révélatrices du personnage.

Bruno Carrière

Albert Claveille à son bureau ministériel.gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.

Il n’est un secret pour personne aujourd’hui que Raoul Dautry, lorsqu’il était à la tête du réseau de l’État, se faisait un devoir de se rendre discrètement sur le terrain afin de juger de visu le travail de son personnel et, le cas échéant, de sévir aussitôt. On sait moins, par contre, qu’Albert Claveille avait le même penchant. C’est du moins ce qui ressort, exagération mise à part, d’un court récit publié par Le Figaro dans son édition du 30 octobre 1912.


« Les Gaietés de l’Ouest-État


« À l’instar du calife Haroun-al-Raschid – comment, en ce temps-ci, ne point emprunter ses comparaisons à l’Orient ? –, M. Claveille, l’actif directeur du chemin de fer de l’État, se plaît à faire – dans le plus strict incognito – des tournées sur les diverses lignes du réseau dont il a assumé la lourde responsabilité.


Il y a quelques jours, il se trouvait dans une petite ville de Normandie, lorsqu’il dut brusquement rentrer à Paris.


Avec Mme Claveille, qui accompagnait son mari, il s’empressa de gagner la gare de la localité. Il y arriva un quart d’heure avant l’arrivée d’un train omnibus se dirigeant sur Paris.


Comme un voyageur ordinaire, M. Claveille prit ses deux billets sans incident. Mais les choses n’allèrent pas aussi commodément lorsqu’il s’agit de faire enregistrer son bagage, ou plutôt celui de Mme Claveille, une grande malle chapelière. Le plus poliment du monde, il pria le préposé aux bagages de vouloir bien s’occuper de lui. Mais, avec moins de courtoisie, celui-ci lui répondit, d’un ton rude, qu’il avait, pour le moment, autre chose à faire, et qu’il ne fallait pas être si pressé.


M. Claveille attendit. L’heure du train approchait et la malle était toujours là, obstinément abandonnée. Le voyageur risqua une nouvelle tentative, qui eut encore moins de succès que la première.


— Laissez-moi tranquille, dit l’homme ; je ne peux pas être partout à la fois.


Et le préposé aux bagages disparut.


Alors – l’heure du train approchait –, M. Claveille se décide à faire lui-même l’enregistrement de ses colis. Le pinceau à la main, il s’applique à coller sur sa malle l’étiquette Paris.


Ce geste, pourtant bien simple, ne semble pas du goût de l’employé, subitement revenu.


— C’est malin, ce que vous faites là. À quoi que ça vous sert ? Vous croyez peut-être que votre malle va se rendre toute seule dans le fourgon ?


Il n’y a plus qu’une minute. Le directeur retire son chapeau et son paletot qu’il confie à Mme Claveille. Puis il charge la malle sur ses épaules sans paraître trop gêné [l’homme était doté d’une forte corpulence, N.d.l.R.], et se dirige vers le fourgon.


Grande hilarité parmi les employés.


La casquette blanche du commandant sur la tête, le chef de gare s’empresse d’accourir… pour prendre part à la joie générale.


Cependant M. Claveille est parvenu jusqu’au fourgon. Il s’agit maintenant de décharger la malle, ce qui est moins facile que de la charger.


M. Claveille sent qu’une aide ne serait pas de trop et il appelle un facteur pour lui donner un coup de main.


— Ah non ! Mon vieux, répond celui-ci, familier. Tu t’y entends trop bien. Décharge-la tout seul.


Résigné, d’un dernier coup de collier M. Claveille chavire son bagage dans le fourgon et essuie son front.


Il remet son chapeau et son paletot et s’approche du chef de gare qui, le sifflet à la main lui crie d’une voix sévère :


— Allons ! Dépêchez-vous ! Le train va partir !


— Voulez-vous avoir la bonté, dit M. Claveille tout d’abord, de me donner le nom de cet homme.


— Si on vous le demande, dit le chef de gare, vous répondrez que vous n’en savez rien.


Et, goguenard, il sourit.


— Je ne répondrai pas cela, dit M. Claveille, parce que vous aller me donner ce nom.


Et il tire sa carte de sa poche et la tend à son sous-ordre.


— Mon ami, ajouta-t-il, vous avez tort d’être insolent avec les voyageurs. Quant à votre préposé aux bagages, vous allez lui régler son compte immédiatement ; il faut qu’il ait quitté la cour de la gare avant que le train soit parti.


Son camarade, le facteur, qui a le caractère aussi gai, vous l’expédierez dès ce soir en Vendée.


Quand à vous, mon ami, vous reconnaîtrez, je l’espère, que vous n’avez aucune aptitude pour les fonctions de chef de gare, et je prendrai donc soin de vous dès mon arrivée à Paris. Vous avez bien compris. Eh bien ! Faites vite.


Deux minutes après, le chef de gare revenait, la tête basse. Il n’était plus accompagné de son facteur.


Et M. Claveille lui disait simplement :


— Vous pouvez donner le signal du départ. Nous allons être fort en retard. »


Georges Aubry


Albert Claveille à la pointe de la lutte contre l’alcoolisme. C’est ce que nous révèle un écho du Journal des transports du 20 septembre 1913. Une initiative d’autant plus méritoire lorsqu’on connaît l’intempérance notoire des employés du réseau de l’État à cette époque, dénoncée depuis 1903 par la Société antialcoolique des agents de chemins de fer, devenue en 1930 la Santé de la famille des chemins de fer.


« La sobriété à l’Ouest-État


« Nous allons avoir en France toute une administration où du haut en bas de la hiérarchie régnera la sobriété. C’est l’Ouest-État qui donnera ce bel exemple.


Un ordre de M. Claveille vient en effet d’être lancé sur tout le réseau, qui défend aux économats, aux buffets et buvettes de vendre ni alcool, ni boisson alcoolisée aux employés, ouvriers ou fonctionnaires.

« Le personnel dirigeant, dit la note administrative, devra exercer une surveillance de tous les instants afin d’empêcher les agents et ouvriers de sortir de l’enceinte du chemin de fer et aussi d’aller aux buffets et buvettes pendant tout le temps de service qu’ils doivent au réseau. Ils doivent veiller également à ce qu’aucune boisson alcoolisée ne soit introduit dans l’enceinte du chemin de fer.


Enfin, il appartient à tous les chefs détenteurs d’une part d’autorité, si petite soit-elle, d’être pour eux-mêmes, au point de vue tempérance et fréquentation des cafés ou buvettes, d’une sévérité telle qu’ils soient pour le personnel placé sous leurs ordres un exemple permanent de dignité et de réserve. »


M. Claveille interdit même les réunions au café à l’occasion des promotions ou des départs : ces petites fêtes, dit-il, constitueraient des fautes graves qui seraient punies avec la dernière rigueur. »


Albert Claveille, le moralisateur de la vie publique. La presse rend compte en septembre 1912 de la démarche de notre homme qui, appuyé par le ministre des Travaux publics de l’époque, Jean Dupuy, entend proscrire les recommandations politiques des dossiers des candidats et des agents du réseau, cela en application des directives du statut des cheminots de l’OuestÉtat récemment arrêté. La démarche en question consiste à mettre en garde les députés contre cette pratique. Le journal Le Temps s’en fait l’écho dans son édition du 20 septembre 1912.


« Plus de recommandations !


« M. Claveille, directeur des chemins de fer de l’État, vient de faire envoyer 3 000 lettres-circulaires, assure-t-on, à 400 députés qui avaient recommandé des cheminots. Il leur notifie en ces termes les rigoureuses stipulations du dernier arrêté ministériel de M. Jean Dupuy :


« Monsieur le député

Vous avez bien voulu appeler mon attention sur M… (bien entendu nous supprimons le nom de la victime).

J’ai l’honneur de vous donner ci-après le texte de l’article 54 de l’arrêté interministériel du 30 août 1912, concernant le statut du personnel commissionné des chemins de fer de l’État:


“ Il ne doit figurer aucune recommandation ni dans les dossiers des candidats appelés à subir des examens et concours, ni dans ceux des agents en fonctions. Toute infraction à cette règle donnera lieu, contre l’agent qui aura prescrit le classement de la pièce au dossier, à des sanctions disciplinaires, soit d’office, soit sur la plainte des intéressés, des commissions d’examen ou des conseils d’enquête devant lesquels la recommandation aura été produite.


“ Il est interdit, sous peine de sanctions disciplinaires, de répondre à des recommandations visant soit des candidats, soit des agents en fonctions.”


Veuillez agréer, etc.


Le directeur des chemins de fer de l’État. »


Le Journal des débats du 20 septembre 1912 commente la démarche.


« M. Jean Dupuy et M. Claveille ont parfaitement compris qu’en faisant entrer dans toutes les nominations les recommandations politiques, il n’y avait plus ni hiérarchie, ni organisation, ni service public possibles. Il faut espérer que la liquidation à laquelle M. Claveille vient de se livrer sera définitive et qu’aux chemins de fer de l’État, tout au moins, l’homme non recommandé ne sera pas une exception extraordinaire […]. Le favoritisme éhonté contre lequel le ministre des travaux publics et M. Claveille veulent réagir en ce qui concerne l’Ouest-État a trop de responsabilité dans la crise présente des services publics pour qu’on ne s’emploie pas à le combattre énergiquement ; mais la lutte sera difficile. »

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