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Avec le soutien du Paris-Orléans et du réseau de l’État naît en 1922 la « route de Bretagne »

Dernière mise à jour : 25 juil. 2023

Par Bruno Carrière


Cheminant le long des côtes de la péninsule bretonne, qu’il prend en tenaille, le chemin de fer atteint Quimper par le sud en 1863 (compagnie d’Orléans) et Brest par le nord en 1865 (compagnie de l’Ouest), les deux lignes étant réunies via Châteaulin en 1867. À cette date, se rendre par le train depuis Paris jusqu’aux stations balnéaires qui commencent à essaimer reste une épreuve : Quimper est à 18 heures de la capitale, Brest à un peu moins de 17 heures !


Les candidats au voyage à des fins d’agrément sont encore rares, sauf à accepter la perspective d’un long séjour, ce qui exige du temps et des moyens, même si la Bretagne s’avère être un lieu de villégiature financièrement plus abordable que d’autres régions. Si l’on excepte Saint-Malo reliée à Rennes depuis 1864, les stations balnéaires doivent attendre les années 1880 pour bénéficier des avantages du rail : au Nord, Lannion depuis Plouaret en 1881, Roscoff depuis Morlaix en 1883, Dinard depuis Dinan en 1887 ; au Sud, Quiberon depuis Auray en 1882, Concarneau depuis Rosporden en 1883, Pont-l’Abbé et Douarnenez depuis Quimper en 1884[1]. Réduire les temps de trajet devient une priorité Elle passe, notamment, par la mise à double voies des deux lignes, achevée au nord en 1900 (Brest) et au sud en 1902 (Quimper). Accompagnée de la réfection des ouvrages d’art pour la circulation de locomotives plus puissantes, elle permet ainsi d’abaisser la durée la durée du trajet entre Paris et Brest, entre 1898 et 1907, de 12 h 55 à 10 h 18. À l’été 1928, Rennes est à 4 h 34 de la capitale, Saint-Malo à 5 h 56, Dinard à 6 h 40, Brest à 9 h 48.

L’ouverture de la Bretagne au tourisme repose essentiellement jusqu’à la Première Guerre mondiale sur la création de produits et de tarifications attractifs avec, en première ligne, les fameux billets d’excursion et billets de bains de mer. Le rail règne alors en maître ne s’effaçant devant la route que pour les parcours terminaux jusqu’aux plages assurés par voitures hippomobiles. Et l’apparition des premiers véhicules à moteur dans les années qui précèdent le conflit ne remet nullement en question leur primauté[2]. Il en est tout autrement la paix revenue. La route, grâce aux progrès liés à son implication aux transports militaires, prend sa revanche sur le rail. Fossoyeur en son temps de la diligence, ce dernier n’a désormais pas de mots assez durs pour dénoncer une concurrence qu’il juge déloyale. Mais l’automobile n’a pas que des désavantages et peut même s’avérer une alliée précieuse en certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit d’irriguer des contrées qu’il a délaissées. La route a pour elle de pouvoir desservir les sites les plus remarquables, en toute continuité et sans transbordement. C’est ainsi qu’elle est progressivement devenue l’auxiliaire incontournable des services touristiques développés par les grands réseaux, à l’exemple, dès avant-guerre, de la route des Alpes (PLM, 1911) et la route des Pyrénées (Midi, 1913).


En Bretagne, le PO est premier à comprendre le message. Son choix se porte sur la presqu’île de Crozon qui, à défaut d’être desservie par le rail, l’est principalement par la mer. Traditionnellement au départ de Brest : traversée de la rade par bateau matin et soir jusqu’au petit port du Fret, en correspondance avec les omnibus des hôtels de Crozon, Morgat et Camaret ; plus épisodiquement, à partir de 1886, depuis Douarnenez jusqu’à Morgat. C’est en 1913 que le PO décide, « dans le but de faciliter les excursions en Bretagne et notamment dans la presqu’île de Crozon et à la plage de Morgat », l’organisation pour la période du 1er juillet au 30 septembre d’un service automobile quotidien entre sa gare de Châteaulin et Morgat. Interrompue par la guerre la correspondance est rétablie en 1923 (voir l’encadré « La desserte de Morgat » à télécharger ci-dessous).



Le « Circuit breton » de la Société française des Autos-Mails (1922)


Mais d’innovation, aucune. Confrontés à des difficultés budgétaires inextricables, les réseaux de l’État et d’Orléans ont d’autres préoccupations immédiates que le développement du tourisme. C’est à peine s’ils réussissent à pérenniser les avantages tarifaires mis en place avant-guerre en faveur des excursionnistes et villégiateurs, revus à la baisse. Ce renoncement temporaire laisse le champ libre aux initiatives privées, adeptes de la route et résolument tournées vers un tourisme de luxe. C’est ainsi que s’impose en 1922, la Société française des Autos-Mails. « Entreprise de grand tourisme » comme elle aime à se définir, cette société, basée à Paris, s’est fait connaître en 1919 par l’aide apportée à la logistique des « pèlerinages » organisés après-guerre par le réseau du Nord (« Une journée aux champs de bataille franco-anglais » notamment) et à l’exécution des services automobiles mis en place par le même réseau en 1921 (circuits de découverte des forêts de Chantilly et de Compiègne). En 1922, elle jette son dévolu sur la Bretagne où elle organise à partir du mois de juillet un « Circuit breton ». Long de quelque 800 km, celui-ci fait en sorte que « les voitures s’arrêtent à tous les endroits intéressants situés sur le parcours et permettent d’admirer les plus jolis paysages et de visiter tous les monuments intéressants »[3]. Il peut être accompli au départ de Dinard ou de Vannes, à raison de deux départs par semaine dans chacun des sens[4]. Le périple dure quatre jours, une cinquième journée donnant la possibilité de « boucler la boucle » par une relation Vannes-Dinard ou Dinard-Vannes via Josselin. Les candidats à l’aventure peuvent opter pour l’excursion en quatre (242 F) ou cinq jours (294,55 F) ou opter pour l’une des treize « sections » du parcours, par exemple de Châteaulin à Audierne (27,25 F) ou de Quimperlé à Auray (19,10 F). La prestation attire l’attention de la compagnie d’Orléans et du réseau de l’État qui, d’un commun accord, décident, à défaut de la subventionner, d’en assurer la publicité sous le l’appellation de « Tour des côtes de Bretagne en automobile ». La Société française des Autos-Mails reconduit son service jusqu’en 1925 à raison d’un départ par semaine dans chaque sens[5].

Mise hors course pour des raisons judiciaires, la Société française des Autos-Mails laisse le champ libre à un entrepreneur de transport de Dinan, Julien Beaudré. Ce dernier s’était fait connaître par la publication dans l’Ouest-Éclair, le 17 juillet 1924, d’une petite annonce rédigée comme suit : « Toute la Bretagne en 5 jours. 700 kilomètres par autos-cars de luxe. Prix : 470 francs (séjour dans les hôtels de premier ordre compris). Départ de Dinan tous les lundis à 7 h 30. » Doté d’une solide expérience acquise pendant la guerre au sein des services automobiles de l’armée, touche-à-tout (rapatriement des corps des poilus morts au combat[6], location d’automobiles et de camions, déménagements, service d’ambulances, etc.), Beaudré a de surcroit cet avantage primordial d’être un enfant du pays et comme tel attaché à son rayonnement. Au fil des ans, il va faire du tourisme son cheval de bataille. Il organise ainsi, en mars 1932, un « voyage de propagande touristique » auquel il convie vingt-deux directeurs d’importantes agences de voyages françaises et étrangères, invités à sillonner la Bretagne à bord de ses autocars. Vice-président du Syndicat d’initiative de Dinan, il en devient le président cette même année.


La « route de Bretagne » des Établissements J Beaudré (1926)


C’est donc avec Beaudré que l’Orléans et l’État s’entendent en 1926 pour se substituer à la Société française des Autos-Mails pour un « service d’excursions en automobile le long des côtes de Bretagne », précisant de nouveau qu’« il ne sera alloué à M. Beaudré aucune subvention pour ce service ». Un mystère entoure cependant les modalités de cette passation. La consultation des archives de l’Orléans confirme les traités passés par cette compagnie avec la Société française des Autos-Mails en 1925 et les Établissements Beaudré en 1926. Or le compte rendu du congrès de la Fédération des syndicats d’initiative de Bretagne, réuni à Brest en juin 1925, souligne que « les grands circuits de Dinard, organisés par M. Beaudré, ont le patronage des chemins de fer de l’État », ce qui « est là un excellent encouragement car il constitue pour le public une véritable garantie ». L’assemblée décide, en outre, « d’accorder le patronage de la fédération à M Beaudré pour l’organisation de circuits bretons » (La Dépêche de Brest, 22 juin 1925). Quoi qu’il en soit, le choix de Beaudré est confirmé en 1927, le nouveau traité étant passé pour une durée de cinq années.


Avec Beaudré, le Tour des côtes de Bretagne en automobile » s’efface pour céder la place à la « route de Bretagne », ce « merveilleux voyage en cinq jours aux pays des pardons, des menhirs, des calvaires, des landes mystérieuses », s’impose en 1926. Prenant le relai du rail, la route devient le vecteur prioritaire de la découverte des richesses touristiques de la Bretagne. En 1927, le journaliste et écrivain Jean Mauclère (1887-1951), appelé par le réseau de l’État à faire la promotion de la route de Bretagne n’hésite pas à écrire en introduction à son texte : « Savez-vous bien quelle est la triomphatrice de notre époque, la reine du XXe siècle ? C’est Sa Majesté la Route, jadis tintinnabulantes des grelots des diligences, jetée ensuite à la léthargie par le développement des voies ferrées, et à qui, pour la plus grande joie des amateurs de pittoresque, l’auto bourdonnante et rapide rend la vie d’autrefois[7]. » De son côté, la femme de lettres Claude Dervenn (1898-1978), dans sa préface à la plaquette la Route de Bretagne, publiée en 1929 sous les auspices du même réseau, ose un rapprochement avec le coutumier tour de Bretagne, le proverbial Tro-Breiz[8] : « Une vieille tradition de Bretagne affirme que nul homme n’entrera dans le Paradis s’il n’a durant sa vie, accompli son Tro-Breiz – pèlerinage aux sanctuaires vénérés des sept saints d’Armorique (…). Ainsi, pour leur " tour de Bretagne ", les pèlerins s’en allaient par les petites routes bordées d’ajoncs, à travers les vieux comtés, Goëlo, Trégor, Léon, Cornouaille, Pays de Vannes ou Porhoët, de clocher en clocher, de pardon en pardon… Aujourd’hui, le Tro-Breiz s’appelle la Route de Bretagne, et des cars luxueux ont remplacé les charrettes rustiques. Mais l’inoubliable périple est resté le même. »


Les conditions d’exploitation de la route de Bretagne évoluent dans le temps. Fixées à l’origine de la mi-juillet à la mi-septembre, ses limites sont progressivement repoussées au mois de mai et à la fin du mois de septembre. Le nombre de départs, restreints à l’origine à un par semaine dans chaque sens, sont doublés en juillet et août. En 1926, le coût de la prestation est porté de 400 F à 450 F en « repas et hôtels non compris ». En 1927, les touristes effectuant le circuit voient la durée de la validité de leurs billets d’aller et retour portée à huit jours.


Cliquez ci-dessous pour télécharger et lire l'encadré « Les routes bretonnes, entre le pire et le meilleur »







L’intermède de la SATOS, la filière automobile du réseau de l’État (1929)



Émanation de la coordination des transports, la création, en 1928, de la filiale automobile des chemins de fer de l’État – la Société auxiliaire de transports de l’Ouest et du Sud-Ouest (SATOS) – invisibilise les Établissements Beaudré qui, bien que toujours chargés de l’exploitation de la route de Bretagne, disparaissent des encarts publicitaires au profit de la nouvelle venue[10]. C’est donc au nom de la SATOS qu’est faite l’annonce en 1929 de la mise en place, pour les mois de juillet et d’août, d’un « service rapide » s’adressant aux touristes « disposant de peu de temps ». L’itinéraire suivi est le même que celui de la route de Bretagne, mais parcouru en accéléré : quatre jours contre cinq. Il est plus coûteux aussi : 510 F contre 450 F. Limité dans un premier temps au sens Dinard-Vannes, il est dédoublé en 1932 afin de pouvoir être accompli dans le sens Vannes-Dinard. En 1929, toujours, sont créées une liaison Vannes-La Baule via la Roche-Bernard et Guérande « pour permettre aux baigneurs en villégiature sur la grande plage de l’embouchure de la Loire d’effectuer facilement la magnifique randonnée de la route de Bretagne » (60 F l’aller simple), et une relation « directe et rapide » entre les deux grandes plages bretonnes de Dinard et de La Baule via Rennes et Redon (trihebdomadaire du 1er au 31 juillet et du 1er au 15 septembre, journalière en août, 140 F l’aller simple).



L’examen des itinéraires suivis par les autocars de la route de Bretagne depuis l923 montre l’oubli de Brest en tant que ville étape, alors que prise en compte par Société française des Autos-Mails en 1922. Une situation vivement dénoncée par G Thiébaut, le président du Syndicat d’initiative du tourisme du nord-Finistère (section de Brest) à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération des syndicats d’initiative de Bretagne, tenue à Saint-Malo le 2 juillet 1927 : « N’est-il pas quelque peu choquant d’entendre appeler "Tour de Bretagne" un service dont les voyageurs n’aperçoivent pas le moindre coin de la côte nord-Finistère et n’entrevoient même pas cette merveille qui a nom la rade de Brest ? Nous avons reçu mission de protester contre ce délaissement de notre région par les services d’autocars du Tour de Bretagne, services patronnés par les chemins de fer et par la Fédération. Notre protestation n’est pas faite dans un but purement égoïste ; mais qui dit Bretagne ne peut laisser de côté une des parties les plus intéressantes de notre province. La Société française des Autos-Mails avait organisé à Brest un gîte d’étape ; elle ne s’en est jamais repentie, du moins à notre connaissance. Nous croyons devoir insister auprès de la Fédération pour que l’année prochaine, en 1928, et les années suivantes, l’itinéraire du "Tour de Bretagne" soit modifié et que la région de Brest, la ville et la rade ne soient plus complètement sacrifiées. » G. Thiébaut accuse les services d’autocars « de supprimer des kilomètres en évitant un soi-disant détour ». Leur « intérêt pécuniaire » s’appuie cependant sur une réalité : l’estuaire de l’Elorn, dont le franchissement n’était possible qu’à hauteur de Landerneau. L’obligation de descendre de Landerneau jusqu’à Brest puis de remonter de Brest jusqu’à Landerneau impliquait un surplus non négligeable d’une cinquantaine de kilomètres et, plus encore, sans doute, une perte de temps considérable pour une organisation rigoureusement chronométrée. En établissant une liaison plus directe par Plougastel-Daoulas, le pont Albert Louppe, inauguré en 1930, permet le retour de Brest en tant que ville étape du tour de Bretagne dès l’année suivante[11]. Pour cette première réapparition, la route de Bretagne y déverse quelque 1 500 excursionnistes. Le pont Albert Louppe facilite aussi à la desserte de Morgat qui, depuis 1925, bénéficiait du pont de Térénez. Lancé sur l’Aulne, ce dernier permettait l’accès à la presqu’île de Crozon au départ du Faou et non plus seulement de Châteaulin.

De concert avec J. Beaudré, la SATOS s s’emploie à structurer l’offre. Chose faite en 1931 (voir l’encadré « Invitation au voyage »).


Cliquez ci-dessous pour télécharger et lire l'encadré « Invitation au voyage »



Un personnel qualifié pour une clientèle plus cosmopolite que locale


Pour répondre aux besoins de son entreprise, Julien Beaudré fait appel à un personnel hautement qualifié, qu’il s’agisse de conducteurs ou d’interprètes. Il recourt pour cela aux petites annonces que publient régulièrement L’Ouest-Éclair. Ainsi le 30 mars 1930 : « SERVICES AUTOMOBILES de la route de Bretagne demandent pour saison d’été quelques TRES BONS CONDUCTEURS-MECANICIENS d’autos-Car. Très sérieuses références exigées », ou encore : « SERVICES AUTOMOBILES de la route de Bretagne demandent pour saison d’été, PERSONNES de très bonne tenue et conduit, parlant anglais très correctement, pour remplir l’emploi de guide-accompagnateur – Adresser références Établissements BEAUPRE, à Dinan (Côtes-du-Nord) » (30 mars 1930).

Pour quelle clientèle ? Cosmopolite sans aucun doute, mais pas seulement. Avec de grands absents, les Bretons eux-mêmes. C’est ce qu’il ressort d’un billet d’humeur publié le 8 juillet 1933 par La Tribune, journal républicain de Morlaix et de l’arrondissement, sous le titre : « Carnet d’un Morlaisien. Suivons le guide ! ... » Y est mis en scène un dénommé Ogy, homme du cru, qui a eu « bien de la veine » d’avoir effectué son tour de Bretagne à bord d’un car de l’entreprise Beaudré. Ce qui permet à l’auteur du papier, un certain Keffleut, de s’interroger sur le peu d’enthousiasme de ses compatriotes à suivre l’exemple d’Ogy :


« Ce qu’il y a de remarquable, de surprenant, je dirai même de décevant, c’est que la Bretagne est un pays de tourisme vers lequel se précipite annuellement d’innombrables "étrangers" – dans le sens étroit comme dans le sens large du mot – et qui ne semble n’intéresser aucunement ses propres ressortissants. Ceux-ci trouvent tout naturel de s’expatrier quelques semaines pour visiter en car ou en auto particulière, les châteaux de la Loire, les Pyrénées ou les Alpes, mais il vient à très peu d’entre eux l’idée de commencer ou de finir par connaître de visu, dans leur ensemble, les curiosités de leur pays d’origine.


- Vous est-il arrivé parfois de piloter quelque Breton dans votre "Tour" ? demandais-je, récemment, à M. Flota, le distingué polyglotte qui sert de guide aux excursionnistes des Cars Beaudré, et qui doit être l’homme du monde qui a le plus souvent bouclé le circuit de notre péninsule.

- Écoutez, cher Monsieur, me répondit-il, j’ai eu dans mes cars des personnes appartenant, je crois bien, à toutes les nationalités de l’Europe, depuis la Finlande jusqu’à l’Espagne, depuis l’Ecosse jusqu’aux Balkans, sans parler d’Américains et d’Asiatiques… eh bien ! il ne me souvient pas d’avoir eu à piloter un seul Breton. Et cependant, je ne pense pas que ce soit parce que tous les Bretons connaissent suffisamment la Bretagne pour se dispenser d’y faire du tourisme…C’est impossible. »


Une majorité d’étrangers donc, mais pas seulement, comme dit plus haut. Ogy a ainsi roulé cinq jours en Pullman en compagnie « d’un vieux ménage du quartier de Grenelle, d’un Américain, d’une jeune anglaise, de la dame d’un mandataire aux Halles, d’un maître de solfège, d’un honorable Jerseyiais et quelques autres personnes très bien ».



Les circuits de Basse-Bretagne et de Bretagne intérieure


Les Établissements Beaudré (route de Bretagne) ne sont pas les seuls à bénéficier du patronage des chemins de fer. Citons tout d’abord les Autocars de Cornouailles de M. Trémoureux qui, outre le service de Quimper à Morgat, assure depuis 1924 des circuits d’une journée pendant la saison estivale (du 15 juin au 30 septembre) centrés sur Quimper : départ à 9 h 00, retour vers 18 h30, pour Audierne, pointe du Raz, Douarnenez (tous les jours / 35 F), Morgat, Camaret, Le Fret, Châteaulin (les jeudis et dimanches / 40 F), Beg-Meil, Concarneau, Pont-Aven, Rosporden (les mardis et vendredis / 25 F) ; départ 13 h 20, retour vers 18 h 30, pour la pointe de Penmarch, le phare d’Eckmühl, Saint-Guénolé, Pont-l’Abbé (les lundis, mercredis et samedis / 20 F)[12]. A partir 1931, les autocars de Cornouailles héritent de la liaison routière touristique Quimper-Brest par le nouveau pont Albert Louppe (trois départs par semaine dans chaque sens, ramenée à deux en 1932). Toujours avec l’aval de l’Orléans, des circuits touristiques similaires d’une journée ou demi-journée sont organisés à partir de 1928 au départ de Lorient (Coupannec puis Société des taxis et autobus lorientais) et de Vannes (Cantin puis Cautru). Cette même année, un circuit automobile est inauguré à Belle-Île (Perrière) en correspondance avec le bateau de Quiberon.



Autre élus, les Cars armoricains qui mettent en place au départ de Brest et de Morlaix des excursions d’une journée, désignées par les chemins de fer de l’État sous le qualificatif de « Circuits de Basse-Bretagne ». Organisés de juillet à septembre, ils s’adressent aux personnes qui souhaitent visiter quelques-uns des plus beaux sites de la péninsule « sans s’attarder ». L’offre se limite en 1926 à trois excursions au départ de Brest : circuit du Conquet, circuit de la rade et de Morgat, circuit du château de Kerjean. S’y greffent en 1927 trois nouvelles destinations, au départ de Morlaix cette fois-ci : circuit de Roscoff et des Calvaires, circuit de Huelgoat et des Monts d’Arrée, circuit des plages de Lannion). En 1928 l’offre s’enrichit de trois autres routes : deux au départ de Brest (circuit du Folgoët et de l’Aber-Vrac’h, circuit de l’Elorn et de l’Aulne) et une au départ de Morlaix (circuit de Primel et de Locquirec). Les Cars armoricains organisent également des services spéciaux à l’occasion des principaux « pardons ». Leur propriétaire, M. Start, a également étudié, pour le compte du Syndicat d’initiative de tourisme du Nord-Finistère (section de Brest), la « route du Finistère » qui, en trois jours, conduit de Brest à Morlaix en passant par la presqu’île de de Crozon, Quimper, Audierne, Quimperlé et Châteauneuf-du-Faou (départ tous les lundis, retour les jeudis par la mêle route). Pour l’anecdote, rappelons que Stuart était l’époux de la pianiste internationale Marie de Baecker qui, le 7 avril 1927, donna un récital à la salle des Arts de Brest.


Ces circuits courts répondent à un vœu émis à Brest en 1925 par le congrès de la Fédération des syndicats d’initiative de Bretagne. Prenant la parole, M. Vintouski, représentant du réseau de l’État (ingénieur en chef), rejoint par M Fourgous, délégué par l’Orléans (inspecteur), n’avait pas caché son adhésion à des circuits d’une journée voire d’une demi-journée « préférables à ceux qui contraignent les touristes à coucher hors du lieu de leur villégiature ». Ce qui avait conduit l’assemblée à se déclarer prête « à favoriser les grands circuits et à appuyer la création de circuits réduits pouvant se souder aux précédents ».


Citons enfin, pour finir, la Société de transports automobiles de Dinard à Saint-Briac et extensions (STADE) qui, en 1931, est chargée par les chemins de fer de l’État de mettre en valeur les richesses touristiques de la Bretagne intérieure ignorées par la route de Bretagne. Un oubli que regrette Jean Mauclère : « La merveilleuse parure que font à la Bretagne ses côtes, collier de granit ciselé, brodé d’écume, accapare injustement l’admiration du touriste. On ne connaît pas assez la Bretagne « intérieure », celle qui dresse sous un ciel velouté ses églises sculptées comme des reliquaires, et dont les petites villes rudes, si originales, chevauchent les contreforts de la Montagne Noire. Pourtant, que de merveilles à voir dans cette région ! » (Revue illustrée des chemins de fer de l’État, août 1931). La STADE propose donc une excursion automobile à travers la « zone d’une quarantaine de kilomètres de large, [qui traverse] la presqu’ile en écharpe, de Dinard à la pointe du Raz ». Proposée sous l’appellation de « La Bretagne intérieure », celle-ci est programmée sur deux journées : première étape de Dinard (départ les mercredis et samedis à 9 h du 11 juillet au 6 septembre) à la pointe du Raz via Plancoët, Mur-de-Bretagne, Gouarec (déjeuner), Carhaix, Châteauneuf-du-Faou, Quimper (arrivée vers 16 h 30) et Audierne (arrivée à la pointe du Raz vers 18 h) ; la seconde de la pointe du Raz (départ à 8 h) à Dinard via Douarnenez, Quimper (départ 9 h 30), Rosporden, Le Faouët, Guémené, Pontivy (déjeuner), Loudéac, Collinée et Dinan (arrivée à Dinard vers 18 h). L’excursion peut être effectuée dans l’autre sens avec départ de la pointe du Raz ou de Quimper les jeudis et dimanches du 12 juillet au 7 septembre.


Les encarts publicitaires de la SATOS signalent également un « Circuit breton ». Apparu en 1929, il propose une boucle de trois jours entre terre et mer. Au départ de Dinard, il dessert Saint-Brieuc, Paimpol, Perros-Guirec, Morlaix, Huelgoat, Morgat la pointe du Raz, Quimper, Auray et Josselin. Aucune information ne permet de l’attribuer à tel ou tel transporteur.

Signalons enfin les services d’excursion patronnés par les syndicats d’initiative locaux tels, à Brest, les cars Goaec et Savina.


Cliquez ci-dessous pour télécharger et lire l'encadré « Le tour de la Bretagne par la mer en 1930 : une initiative de Raoul Dautry »



Le déclin, la crise économique mais pas seulement


À partir de 1933, les encarts publicitaires des réseaux insérés dans les journaux sont réduits au strict minimum, tant sur le fond que sur la forme. Sans doute le résultat des conséquences de la crise économique mondiale qui touche la France depuis deux ans. Les services automobiles d’excursion n’échappent pas à la dépression. La courbe des touristes transportés par les Cars armoricains est significative des difficultés rencontrées : 1 246 clients en 1930, 968 en 1931, 941 en 1932, 694 en 1933, 886 en 1934, 525 en 1935. Même constat pour la liaison touristique Quimper-Brest assurée par les Autocars de Cornouailles : 291 passagers l’année de sa création en 1931, 160 en 1932, 137 en 1933. La route de Bretagne est également touchée : 1 500 excursionnistes environ en 1931, 1 100 en 1932. Au-delà, les Établissements Beaudré ne communiquent plus. Le Syndicat d’initiative du Nord-Finistère qui est à l’origine de ces statistiques écrit à leur sujet : « Nous ne connaissons pas les chiffres de 1933, mais nous sommes malheureusement certains d’une diminution importante. » Fort heureusement, une reprise timide des affaires se fait sentir à partir de 1936 comme le montre les chiffres des Cars armoricains : 641 personnes cette année-là, 936 en 1937, 1 006 en 1938.


Mais, selon le Syndicat d’initiative du Nord-Finistère, la crise économique n’explique pas tout. Il existe, constate-t-il en 1933, « un facteur qui influe très sérieusement sur la clientèle des cars : c’est le nombre croissant des autos particulières. Leurs propriétaires s’en servent pendant les vacances pour leurs déplacements touristiques après s’en être servis pour leurs affaires comme instrument de travail » (La Dépêche de Brest, 13 juillet 1933). À quoi s’ajoute, poursuit-il en 1934, le « développement gigantesque des services d’autobus dans la région », notamment depuis les fêtes de la Pentecôte : « Ces services d’autobus ont permis à la clientèle modeste, non pas d’excursionner dans le sens propre du mot, ainsi que cela se fait dans les circuits fermés organisés au départ de Brest, mais de se rendre à des points terminus, leur donnant la facilité de se déplacer à des prix moins onéreux que ceux demandés par les entreprises d’excursions en autocars. » Entreprises dont il reconnaît cependant les avantages puisque leurs véhicules permettent « par des arrêts nombreux et de suffisante durée, de bien visiter la région parcourue sans avoir le souci de manquer un départ ou une correspondance ». Et de poursuive : « Il existe encore une raison qui paraît paradoxale et qui, pourtant, a été constatée : c’est le très beau temps, le temps très chaud de l’été 1933 qui fut défavorable aux excursions, tandis qu’il a aidé puissamment les services d’autobus qui ont marché à plein pendant toute la saison ; quand il fait très chaud, la clientèle s’en va passer la journée complète à la mer ou à la campagne, tandis que les jours de temps incertains, elle se décide à la promenade » (La Dépêche de Brest, 21 décembre 1934).


La disparition prématurée de la SATOS en 1934 rend toute leur liberté aux Établissements J. Beaudré qui, en 1937, s’effacent devant la Société en commandite par actions « La Presse régionale de l’Ouest ». Nouvellement créée, celle-ci permet à son gérant, Pierre Artur, de prendre le contrôle du journal L’Ouest-Éclair dont il occupait (et continue d’assurer) les fonctions de directeur général. Agréé par le réseau de l’État, puis la SNCF en 1938, il poursuit la commercialisation de la route de la Bretagne et du circuit de la Bretagne intérieure, auxquels sont adjointes des offres combinant les deux premières prestations[13]. A la Libération, accusé d’avoir autorisé la publication d’articles favorables à la politique de Pétain et à la collaboration franco-allemande, il échappe à la prison mais est frappé de dix ans d’indignité nationale. Sa chute entraîne celle de L’Ouest-Éclair qui renaît sous le nom d’Ouest France.


Une autre conséquence est la mise sous séquestre de la route de Bretagne. La SNCF ne travaille pas moins en sous-main à sa réactivation. Les circuits A et B en six jours et le circuit C en trois jours[14] sont ainsi remis en service dès 1946. Seules manquent à l’appel la liaison Vannes-La Baule. En raison des destructions, notamment celles des ponts Albert Louppe et de Térénez sur l’Elorn et l’Aulne, les itinéraires sont repensés. En 1950, la route de Bretagne fait l’objet d’une mise en vente, tout comme la Route de Normandie sa voisine. La Sceta, filiale « routière » de la SNCF, envisage alors de se porter candidate à son rachat « plutôt que de laisser des entreprises concurrentes les racheter et les exploiter avec des cars qui feraient, dans certaines hypothèses, le trajet de bout en bout au départ de Paris » (Sceta, conseil d’administration du 20 novembre 1950). La suite est à écrire…



 

Notes et références

[1] La constitution du Réseau breton à voie métrique permet encore la desserte de Paimpol depuis Guingamp en 1894, de Crozon-Morgat et de Camaret/La Fret depuis Châteaulin en 1923 et 1925.


[2] Édité en 1910, Le Guide illustré de l’Odet publie une annonce émanant des Transports automobiles bretons. Domiciliée à Quimper, cette société dit assurer un service public de voitures automobiles toute l’année entre Quimper-Bénodet, Quimper-Fouesnant (Beg-Meil l’été), Quimperlé-Le Pouldu et Pont-l’Abbé-Loctudy, en correspondance avec les trains.


[3] L’Ouest-Éclair, 12 août 1922.

[4] Au départ de Dinard les lundis et jeudis ; au départ de Vannes les mercredis et samedis. Du 25 août au 7 septembre, les départs du lundi de Dinard et du samedi de Vannes sont supprimés. Dans le sens Dinard-Vannes-Dinard, l’itinéraire passe par Erquy, Saint-Quay-Portrieux, Lannion, Saint-Thégonnec, Brest, Châteaulin, Audierne, Quimper, Quimperlé, Auray, Vannes, Josselin et Saint-Méen.

[5] En 1924, coût de la prestation portée à 400 F et ajout d’un départ supplémentaire en juillet et août) ; et 1925, retour à un seul départ et durée du trajet ramené à cinq jours (Dinard-Morlaix, Morlaix-Brest, Brest-Morgat via Le Faou, Morgat-Quimper, Quimper Vannes) avec possibilité d’une journée supplémentaire pour rejoindre Dinard depuis Vannes.


[6] « L’entreprise J. BEAUDRE, 16, rue Thiers à Dinan (Côte-du-Nord) a effectué depuis deux mois, par automobile, plusieurs voyages du front en Bretagne. L’entreprise assure le groupement des familles, l’exhumation, le transport des corps, la fourniture des cercueils et se charge de toutes les formalités […]. Très prochainement, départ pour les Régions de Verdun et de Champagne. Ensuite Régions du Soissonais et de la Somme » (annonce Le Nouvelliste de Bretagne, 28 décembre 1920).


[7] La Revue illustrée des chemins de fer de l’État, mai 1927.

[8] Particulièrement florissant aux XIVe et XVe siècles, le tour de Bretagne ou Tro Breiz désignait le pèlerinage en l'honneur des sept saints fondateurs de la Bretagne. En un mois, le pèlerin allait s’incliner successivement sur les tombeaux de Malo et Brieuc dans leur ville, Samson à Dol-de-Bretagne, Tugdual à Tréguier, Pol Aurélien à Saint-Pol-de-Léon, Corentin à Quimper et Patern à Vannes. Les Bretons l’effectuaient encore au début du siècle dernier.


[10] La SATOS est chargée tout à la fois de gérer les services automobiles anciens et d’organiser ceux à créer.


[11] La mise en service du pont Albert Louppe eu pour autre conséquence la condamnation du bac à vapeur qui œuvrait en ce point depuis 1908.


[12] Possibilité de la descente en canots automobiles de l’Odet, « la plus belle rivière de France », depuis Quimper jusqu’à Bénodet (d’avril à septembre). Service assuré par les Transports maritimes de Cornouailles.


[13] L’Ouest-Éclair s’était doté d’un « Service des voyages » (agence) qui n’hésitait pas à proposer des excursions en concurrence directe avec celles de J Beaudré. Ainsi en 1929, offre d’un circuit de six jours de Dinard à Vannes et à Dinard (ou La Baule) au prix de 890 F. La prestation, assurée tous les lundis et mercredis au départ de Dinard, comprend le transport en autocar, les repas et les hôtels.


[14] En quatre jours en 1947.

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