Jean-Pierre Euzen
Prémices
Les premiers projets de liaison ferroviaire prévoyaient de relier Rennes à Brest en passant par le centre de la Bretagne, entre les Montagnes Noires, au Sud, et les Monts d’Arrée, au Nord, pour ensuite traverser difficilement ces derniers avant d’atteindre son terminus (1). Ces diverses variantes auraient principalement desservi des zones peu peuplées et peu industrialisées (2), au grand dam des zones côtières nord et sud où se concentraient les activités économiques.
(1)- Cet article résume une bonne partie de deux ouvrages publiés par l’auteur : L’Arrivée du chemin de fer en Bretagne Nord (Riveneuve éditions, 2013, 145 p.) et L’Étoile ferrée morlaisienne (Riveneuve éditions, 2015, 154 p.).
(2)- Le tout récent et coûteux canal de Nantes à Brest qui suivait le même cheminement ne couvrait même pas ses frais de fonctionnement.
Cette ligne centrale disparut au profit de deux lignes, l’une au Sud, l’autre au Nord. Cette dernière, qui évitait initialement tous les grands centres urbains, évolua de façon à s’en rapprocher.
L’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées chargé de Morlaix, Eugène Aumaître (18091885), proposa d’implanter la gare à cinq kilomètres de la ville, encaissée entre trois collines. La Compagnie de l’Ouest, future exploitante, et la municipalité morlaisienne poussèrent fortement à la traversée de la ville.
Le choix se porta sur la place du Marchallac’h, située dans le quartier commerçant de la ville, lieu exigu et sans possibilité d’expansion future.
Cet emplacement obligeait la ligne à traverser la colline du château à l’aide d’une tranchée de dix-huit mètres de profondeur du côté ouest et de continuer vers Paris par un remblai de dix-huit mètres de haut au-dessus du Parc-au-Duc. L’accès routier à la gare était prévu par les rues du Mur et des Nobles, continuant par la rue Haute pour les voyageurs et la rue Basse pour les marchandises qui transitaient par le niveau inférieur de la gare, rails et quais se situant au niveau supérieur.
Victor Fénoux (1831-1895), jeune ingénieur des Ponts et Chaussées en poste à Morlaix depuis le 1er janvier 1857, fut chargé le 1er septembre 1859 de l’établissement du chemin de fer dans la zone comprise dans le Finistère entre la limite du département des Côtes-du-Nord et Saint-Thégonnec (34 kilomètres). Il reprit aussitôt les études précédentes et proposa un nouveau tracé qui plaçait la gare sur le plateau de Saint-Martin. Une vive polémique s’installa alors à Morlaix, la municipalité s’accrochant à la première solution tandis que la chambre de commerce et la commission d’enquête préféraient la seconde, qui fut retenue par l’administration centrale. Ce nouveau tracé imposait de traverser le centre de la ville au moyen d’un viaduc de 292 mètres de long et 60 mètres de haut.
Construction de la gare
Les travaux de construction de la gare furent adjugés à Messieurs Le Breton, Magniet et Monghéal avec un rabais de 14 % sur le prix indiqué dans l’adjudication. La gare est décrite dans le bulletin de recensement pour la formation de la matrice des patentes de 1874 comme suit :
« La gare de Morlaix est située sur le plateau de St Martin à 1 100 m du centre de la ville par la voie d’accès dite du centre et à 2 800 m par la voie dite du port. La gare des voyageurs construite en pierres, couverte en zinc, est surmontée d’un étage au milieu du bâtiment. Au rez-de-chaussée, salle d’attente des voyageurs pour les trois classes, salle des bagages, bureau des messageries, bureau de la voie, cabinet du chef de gare et petit buffet, marquise de 9 m attenante au bâtiment même. Une construction servant d’abri aux voyageurs vis-à-vis le débarcadère, en briques et bois, couverte en zinc, possède deux petits lieux d’aisance à chaque extrémité. À l’est du bâtiment principal, lieux d’aisance pour hommes et femmes à un seul rez-de-chaussée, construction en pierres, couverture en zinc. Autre bâtiment à l’ouest servant de lampisterie, de bureau au commissaire de gare et de fourneau à bouillottes, construit en pierres et briques couvert en zinc n’a aussi qu’un rez-de-chaussée. Maison à un étage construite en pierres et briques couverte en zinc, sert de logement au chef de dépôt et momentanément aux mécaniciens et chauffeurs, se compose de quatre pièces au rez-de-chaussée plus un cabinet, et au premier étage même distribution. Tous les appartements sont de belle dimension. Le bâtiment est carré et mesure 12 m de côté.
Remise à wagons bâtie en briques, bois et fer, couverte en zinc, destinée à abriter 6 voitures. Longueur : 16 m sur 12 m.
Remise à locomotives construite en bois, briques, et fer, toiture en tuiles, pour renfermer 6 machines complètes. Longueur : 20 m sur 15 m.
Hangar des marchandises, construction tout en bois, couverte en zinc, avec un quai, de 12 m de largeur sur une longueur de 40 m. Petit bureau à l’ouest du bâtiment communiquant avec le quai intérieur.
Réservoir d’eau situé à 300 m ouest du bâtiment des voyageurs, construit en tôle avec soubassement en pierres de taille. La cuve contient 28 tonneaux. Surface comprise sous les divers bâtiments : 25 ares.
Pont à bascule près la halle des marchandises. Deux grues hydrauliques à pivot, servant à alimenter les machines, l’une située près de la remise à wagons et l’autre à l’extrémité ouest de la gare avec conduite d’eau.
Quai au charbon construit en madriers, élevé à 1,50 m au dessus du sol, situé près de la remise aux locomotives. »
Accidents
Plusieurs accidents survinrent au cours de la construction de la gare. Quatre d’entre eux furent dus à des mines, faisant un mort, trois blessés graves et brisant le bras d’une passante. Des éboulements de pierres blessèrent gravement deux ouvriers et un charpentier fut blessé par la chute d’une pièce de bois.
Des imprudences firent aussi deux victimes : un ouvrier sautant d’un wagon qui descendait la voie d’accès de la gare pour chercher des pierres taillées eut la jambe cassée ; un journalier allongé sur un diable pour aider à y charger une grosse bille de bois fut catapulté à huit mètres de distance lorsqu’une corde se rompit et fut gravement blessé.
Accès routiers à la gare
Une route reliant le port à la gare (en orange sur le plan, fig. 2) fut construite en 1862 afin de permettre de transporter moellons et pierres débarqués des gabarres et devant servir à la construction de la gare ainsi que du viaduc lorsque celui-ci atteignit une hauteur conséquente. L’atelier de taille de pierres fut alors transféré à l’emplacement de la future gare.
Après de nombreuses demandes municipales, le principe d’une voie d’accès au centre ville (en vert clair) fut décidé par le ministre des Travaux publics en juin 1863. Cette rue réalisée par M. Guillaume Queinnec, entrepreneur à Guiclan, fut achevée en mai 1865, soit quelques jours après l’inauguration officielle de la ligne. Deux passages constituant le chemin de ceinture de la gare (en marron) furent réalisés pour rétablir les communications coupées par la ligne et la gare, à savoir à l’est un viaduc de trois mètres entre culées par-dessous la voie ferrée pour le chemin de la Roche et le petit sentier qui longe la gare, et à l’ouest un viaduc de six mètres entre parapets (le pont Bellec) supportant le chemin de Saint-Martin à la vieille route de Brest.
Embranchement ferroviaire de la gare au port
Dès l’arrivée du chemin de fer dans la cité, les édiles et les acteurs commerciaux réclamèrent un embranchement ferroviaire entre le port et la gare afin d’éviter un transbordement routier coûteux entre les deux sites. De nombreux projets furent élaborés, allant d’une traversée de toute la ville par ses artères les plus importantes à un tramway électrique, en passant par un plan incliné pour wagons. Finalement, au bout de quarante ans de tergiversations, une voie ferrée à double écartement passant par Porz-an- Trez fut décidée et ouverte à l’exploitation le 12 mai 1906 (en vert foncé sur le plan, fig. 2).
Funiculaire
Le trajet le plus court du centre-ville à la gare consiste à escalader la rue des Cent- Marches, ce qui n’était pas une sinécure pour les voyageurs munis de bagages. La création d’un funiculaire, initialement en aérien puis en souterrain, fut décidée. La Société du funiculaire de Morlaix fit percer le tunnel qui fut achevé le 1er mai 1908. Cependant, la guerre survint avant de trouver un exploitant prêt à installer les superstructures. La guerre modifia considérablement les conditions sociales et développa le transport routier ; la Société du funiculaire fut acculée à la faillite et, sans repreneur, mise en liquidation en 1933.
Extensions
De simple point de passage, Morlaix devint gare de bifurcation lors de la mise en service de la ligne à voie normale de Morlaix à Roscoff en 1883 puis de celle à voie métrique de Morlaix à Carhaix, première branche du Réseau Breton inaugurée en 1891 et affermée à la Société générale des chemins de fer économiques (S.E.) qui érigea ses bureaux en face de la gare. Contrairement à la ligne de Roscoff, celle de Carhaix exigea l’aménagement, dans le coin nord de la gare, d’installations spécifiques ainsi que l’ajout d’un ou deux rails supplémentaires à certaines portions de voies existantes. La voie menant à Carhaix empruntait le viaduc, longeant initialement la voie unique à écartement normal de la ligne Paris-Brest. Lors du doublement de cette dernière en 1899, un troisième rail fut ajouté à la voie située du côté nord du viaduc.
Au même moment, le conseil général du Finistère décida la création d’une ligne reliant Morlaix à Plougasnou avec embranchement sur Plestin dans les Côtes-du-Nord. La S.E. présenta un projet partant de la gare de Saint- Martin et traversant le Viaduc sur lequel passaient déjà ses trains du Réseau Breton, projet rejeté pour son coût élevé. La future Société des Chemins de Fer Armoricains (C.F.A.) reprit le projet de la S.E. mais se heurta au refus de la Compagnie de l’Ouest de partager son viaduc et sa gare avec un troisième exploitant. La gare des C.F.A. fut installée en plein centre ville, au pied du viaduc, et reliée au port par une voie de service sur le quai de Léon, tandis que la voie vers Plougasnou et les Côtes-du-Nord était implantée sur le quai de Tréguier. Cette ligne ferma définitivement le 4 octobre 1934.
Agrandissement des bâtiments de la gare
Le 12 août 1932, Charles Pomaret (1897- 1984), alors sous-secrétaire d’État à l’Enseignement technique, inaugura les nouvelles installations de la gare : allongement des deux ailes et réaménagement intérieur du bâtiment des voyageurs, construction d’un bâtiment pour le service des colis en grande vitesse, extension des quais, établissement d’un passage souterrain et construction d’une passerelle pour accéder facilement à la gare marchandise « petite vitesse ».
Après la fermeture de la ligne de Morlaix à Carhaix le 9 avril 1967, une portion de la gare fut désaffectée et les rails du Réseau Breton démontés.
L’électrification du tronçon de Saint-Brieuc à Brest fut inaugurée le 15 septembre 1989 par Louis Le Pensec, ministre né à Mellac (29S), ce qui permit, une semaine plus tard, au premier TGV Atlantique de rallier Brest à partir du Mans en traversant la gare de Morlaix. Dans le cadre du projet ferroviaire Bretagne à Grande Vitesse (BGV) initié dans les années 1980 avec pour objectif de mettre Brest et Quimper à 3 heures de Paris, des essais de passage du TGV à 160 km/h sur le viaduc et en gare de Morlaix ont été effectués avec succès.
La gare de Morlaix, choisie pour être l’un des dix Pôles multimodaux de la région, devrait être opérationnelle en 2017. Ceci devrait permettre de revitaliser le quartier de la gare, d’accueillir le million de voyageurs prévus en 2025, d’assurer 150 correspondances quotidiennes entre bus, cars et trains, et de créer 500 places de parking supplémentaires. Dans ce contexte, la municipalité étudie la possibilité d’installer un double ascenseur incliné dans le fameux tunnel du funiculaire afin de faciliter les relations entre le centre-ville et la gare.
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