L’inauguration, le 24 août 1837, du chemin de fer Paris à Saint-Germain a été comme il se doit largement saluée par la presse contemporaine. En outre, et de façon plus ou moins improvisée, plusieurs guides touristiques, avec ou sans illustration, ainsi que des gravures, ont été publiés pour l’occasion. La mise en exploitation des lignes de Paris à Versailles Rive Droite (1839) et de Paris à Rouen (1843) – qui avaient cette particularité de partager les voies du Paris-Saint-Germain au départ de la capitale – a été à l’origine de nouvelles publications et illustrations, quelques-unes reprenant des éléments, parfois « modernisés », de la ligne d’origine. Dans le même temps, un nouveau support autre que le papier a été utilisé pour leur reproduction : les assiettes dites « parlantes » produites à Gien et Choisy entre 1844 et 1851.
Dans le cadre d’une étude plus vaste portant sur les premières illustrations ferroviaires en France, nous avons pu ainsi identifier et dater 80 illustrations produites de 1837 à 1855 (dont 39 pour les seules années 1837-1838) montrant des éléments ferroviaires de la ligne de Paris à Saint-Germain. 73 de ces 80 illustrations ont fait l’objet d’une analyse minutieuse de notre part. En effet, si la plupart représentent un genre d’art considéré souvent comme mineur, à juste titre dans certains cas, certaines contiennent de précieuses informations historiques qui peuvent compléter ou confirmer ce que la littérature n’a pas toujours décrit en détail. Les 73 illustrations analysées ont été classées tout d’abord en fonction du sujet (tableau 1) et du lieu (tableau 2). On remarque la surreprésentation des gares et l’intérêt porté par les illustrateurs aux ouvrages d’art (ponts et viaducs) et aux matériels roulants (locomotive avec ou sans tender ou train complet), qui contrastent avec la quasi-absence de références aux sites traversés. Le débarcadère de la place de l’Europe est de loin l’élément le plus représenté (24 des 73 illustrations, soit 34 % du total), loin devant la gare Saint-Lazare dont la construction a commencé en 1840 (21 %). Viennent ensuite les débarcadères du Pecq et de Saint-Germain, ce dernier érigé en 1847 pour les besoins du chemin de fer atmosphérique (16 %). Inversement, aucune représentation des arrêts ou stations intermédiaires n’a pu être observée. On notera cependant la place faite aux Batignolles, siège de la gare des marchandises et des ateliers.
Les illustrations ont été ensuite ventilées selon le type de gravure (tableau 3), leur année de production (tableau 4) et leur source d’origine (tableau 5). Les gravures sur bois debout (l’image est imprimée en même temps que des textes par une presse à imprimer classique, ce qui permet une production de masse souvent au détriment de la qualité) et les lithographies (gravures de grande qualité produite à l’unité mais en quantité limitée et pouvant être insérées dans un album ou dans un livre à illustrer) dominent (respectivement 52 % et 38 % des 73 gravures examinées). Manifestement l’inauguration de la ligne de Paris au Pecq en 1837 a inspiré de nombreux illustrateurs, 45 % des illustrations ferroviaires relatives à cette ligne ayant été produites cette année-là. Les illustrations apparues après cette date sont souvent reliées aux nouvelles lignes qui empruntent le tronçon commun depuis le débarcadère de la place de l’Europe (de la gare Saint-Lazare à partir de 1842) jusqu’au pont d’Asnières selon la répartition indiquée au tableau 4 (pour les 80 illustrations identifiées et datées). Les gravures isolées ou en série (38 %) et les guides touristiques consacrés plus spécifiquement aux chemins de fer (37 %) sont les premières sources d’illustrations ferroviaires, loin devant les journaux (21 %). En dépit de leur naïveté et de la nouveauté des sujets représentés, ces illustrations comportent dans l’ensemble des éléments parfaitement reconnaissables et utilisables à des fins d’illustration historique. Si l’on excepte les images de type « Épinal », aucun site traversé n’a été reproduit de façon fantaisiste. Et bien que parfois approximative, la représentation des bâtiments et des véhicules ferroviaires est généralement conforme à la réalité. Le sujet étant trop nouveau pour « inventer », les illustrateurs transposent ce qu’ils perçoivent vraiment, les seules fantaisies qu’ils apportent appartenant à leur vécu, détails « connus » tels que des personnages, bagages, animaux, véhicules hippomobiles, arbres placés à leur gré. Les illustrateurs ont aussi parfois pris des libertés vis-à-vis des perspectives, aménagées pour rendre l’image plus romantique selon les critères de l’époque.
La gare Saint-Lazare peu après son extension de 1839-1842. Si l’embarcadère primitif de la rue de Londres apparaît toujours, le pont établi en 1842 pour assurer la continuité de la rue de Stockholm n’est pas représenté. Gravure sur bois par Daubigny et Harrison (1843). Coll. J.-J. Paques.
Lithographie de Francois Delarue tirée en 1837 d’après un dessin d’Aristide Michel Perrot. Bien qu’à l’état de projet, la ligne de Paris à Versailles Rive Droite est déjà portée sur la carte. Compiègne, Musée de la voiture. © RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet.
Estampe de 1842 produite à partir d’une gravure sur bois par la fabrique de Pellerin, Imprimeur-libraire, à Épinal. Le bâtiment représenté à l’extrême droite fait référence à l’embarcadère primitif du chemin de fer de Paris à Saint-Germain élevé à l’extrémité de la rue de Londres, en bordure de la place de l’Europe. Coll. AHICF.
Malgré des publications dont on devine qu’elles ont été élaborées dans l’urgence (il faut suivre l’événement), la plupart des éditeurs et des illustrateurs ont eu manifestement à cœur de représenter fidèlement ce premier chemin de fer parisien à des fins essentiellement pédagogiques. Une volonté de vulgarisation technique par la représentation de locomotives ou de train (et même de plans) apparaît ainsi dans le Magasin pittoresque. La publication répétée de guides touristiques, dont les illustrations viennent rehausser l’intérêt, reflète un encouragement au tourisme. Dans certains cas, la rigueur apportée au dessin permet, à l’exemple des guides Bourdin notamment, de suivre d’une édition à l’autre l’évolution des paysages, observation qui peut être complétée par la consultation de documents iconographiques plus récents (cartes postales de la fin du 19e siècle ou du début du 20e siècle par exemple). Contemporaines de l’éclosion des premiers chemins de fer « modernes », ces illustrations sont une source d’informations tout à fait utilisables pour des recherches ferroviaires relatives à cette période. Cependant, compte tenu de leur caractère artistique, il est fortement recommandé d’effectuer des recoupements entre elles et avec les textes d’époque pour confirmer tel ou tel détail historique. Nous ne pouvons que déplorer ici la faible longueur de la ligne Paris à Saint-Germain qui n’a pas permis de varier davantage les sujets, principalement architecturaux.
Si seules cinq gravures artistiques dues à Hubert ont été consacrées au Paris-Saint-Germain en 1837, la mise en service d’autres lignes à partir de 1839 s’accompagna de la production de grandes séries de lithographies d’art (Engelmann, Muller, Champin, Provost, Jacottet, Maugendre, Dandiran, Deroy, etc.). Notons que plusieurs dessins de Daubigny ont servi de modèle à des gravures sur bois.
Certaines de ces illustrations ont été reprises sans changement majeur ou ont servi d’inspiration à des assiettes produites à Choisy (une série de douze unités) ou à Gien (trois séries de douze unités) entre 1844 et 1851. Ces séries d’assiettes décrivaient les lignes de chemin de fer de Paris à Rouen et de Paris à Orléans.
Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec
Méthodologie de recherche
Les résultats présentés ici sont extraits d’une recherche plus vaste entreprise en vue d’établir un répertoire exhaustif (ou du moins le plus complet possible) des illustrations à caractère ferroviaire produites en France entre 1828 (première ligne de Saint-Étienne à Andrézieux) et le milieu du 19e siècle. On a évalué à environ 2 000 la quantité de gravures ferroviaires produites en Angleterre entre 1830 et 1850. Pour cette même période, il est probable que la production en France a été plus modeste, autour d’un millier peut-être. Notre recherche porte sur les illustrations représentant un paysage, un bâtiment (avec ou sans train), un élément typiquement ferroviaire (locomotive, wagon, gare, signaux, etc.). Elle exclut cependant tous les documents « de travail » touchant aux domaines techniques ou architecturaux (plans de locomotives, de gare, etc.). Elle s’étend par contre à tous les supports : le papier bien entendu, mais aussi la faïence (pour des accessoires de vaisselle), le carton (pour des boîtes), la toile (pour des tableaux ou des foulards), l’os (pour des jouets), etc.
En absence de bibliographie spécialisée dans ce domaine, de nombreux ouvrages (plus de 200) et sources bibliographiques (une quinzaine) ont été consultés et de nombreux lieux de conservation visités. Voici une liste des principaux lieux de conservation visités ou contactés :
- Cabinet des Estampes, Paris
- BNF, Paris
- CERARE, Mulhouse
- CCE SNCF, Paris
-Musée Carnavalet, Paris
- Bibliothèque du musée du CNAM, Paris
- Musée national de la Voiture et du Tourisme, Compiègne
- Archives historiques de la SNCF, Le Mans
- Cité du Train, Mulhouse
- Bibliothèque de l’AHICF, Paris
- Bibliothèque Forney, Paris
- Bibliothèque des Arts décoratifs, Paris
- Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Paris
- Bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, Paris
- Bibliothèque municipale de Châteaudun, Eure-et-Loir
- Bibliothèque municipale de Versailles
- Bibliothèque municipale d’Orléans
- Collections privées.
Chaque illustration identifiée a fait l’objet de la codification la plus complète possible, incluant les informations nécessaires pour y accéder. Dans la mesure du possible, les illustrations ont été numérisées.
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