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Joseph-Jean Paques

Les faïences fines comme illustration des premiers chemins de fer en France

Dernière mise à jour : 17 mars 2021

Première partie : les assiettes de la manufacture de faïence fine d’Hippolyte Boulenger à Choisy

Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec


L’industrialisation de la production de produits de céramique (1) a contribué à abaisser le coût de leur production et, donc, à augmenter leur diffusion et leur usage, surtout dans les milieux favorisés qui ont profité de ces développements. De nombreuses manufactures de faïence se sont créées en France dès le début du XIXe siècle, avec pour corollaire une production en série qui a su profiter de la technique du transfert d’images à partir de la gravure sur cuivre (voir encadré en fin d’article). Au-delà des images traditionnelles empruntées à l’art ou à l’histoire, certaines illustrations reflétaient l’actualité politique, artistique ou industrielle de leur temps. C’est ainsi qu’a commencé la production de faïences illustrant les chemins de fer. Nous allons examiner ici la plupart des productions de faïences mises sur le marché entre 1844 et 1852, donc contemporaines des premiers chemins de fer en France. À notre connaissance, rares sont les céramiques arborant une image à caractère ferroviaire obtenue par un procédé manuel, peinture ou pochoir. La Cité du Train conserve ainsi une assiette peinte (figure 1), et le musée de la ville de Mulhouse une pièce dont le dessin a été probablement exécuté au pochoir (figure 2).


On remarquera que les deux représentations sont très proches. Qui a copié qui ? On aurait aimé pouvoir affirmer qu’elles ont été inspirées par la première ligne alsacienne de Mulhouse et Thann ouverte le 12 septembre 1839 (2). Cependant, force est d’admettre que les similitudes – notamment la position de la soupape de sécurité – avec les nombreuses illustrations publiées en Allemagne à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer de Nuremberg à Fürth le 7 décembre 1835 (figure 3) laissent planer un doute quant à l’origine de ces deux assiettes, qui pourraient aussi bien avoir été produites outre-Rhin entre 1835 et 1840. À la suite de l’ouverture des lignes de chemins de fer de Paris à Orléans et de Paris à Rouen en 1843, les grandes manufactures de faïence fine, comme celles d’Hippolyte Boulenger à Choisy ou de Guyon de Boulen & Cie à Gien, ont commencé à exécuter en série des assiettes à thème ferroviaire en suivant la pratique des assiettes dites alors « parlantes ». Elles obéissaient aux critères de production de l’époque, à savoir des pièces de dimension moyenne (20 à 22 cm de diamètre), déclinées en lots de douze unités illustrées chacune de façon différente autour d’un même thème.


D’autres accessoires de table à thème ferroviaire ont aussi été proposés, comme cette tasse à thé ou à café (figure 4) produite par la manufacture Guyon de Boulen & Cie dont on peut parfaitement imaginer qu’elle faisait partie d’un service complet avec tasses, soucoupes, théière ou cafetière, pot à lait et sucrier, autant de pièces décorées sur le même thème. Ce qui n’aurait rien d’étonnant si l’on se réfère au service produit en Angleterre pour les Pays-Bas, à l’occasion peut-être de l’ouverture, le 28 septembre 1839, du « Haarlemmerspoorweg », le premier chemin de fer hollandais entre Amsterdam et Haarlem (3). On notera ici que si la représentation du débarcadère d’Orléans avec ses quatre travées et son œil de bœuf correspond à la réalité, il n’en est pas de même de celles du train et du décor qui sont sans lien avec ce que les gravures d’époque nous rapportent.


Produite vers 1844 (ou postérieurement), la série d’assiettes à thème ferroviaire de la manufacture de faïence fine d’Hippolyte Boulenger à Choisy est, à l’inverse des productions artisanales qui sont ses contemporaines, formellement identifiable grâce à la marque de fabrique « B&H, Manufacture de porcelaine de Choisy », utilisée de 1836 à 1863 par cette manufacture (figure 5).



La source des illustrations des assiettes a été très facile à identifier. Pour les six premières, il s’agit de l’opuscule de quatre pages Programme itinéraire. Chemin de fer de Paris à Rouen publié à l’occasion de l’ouverture, le 3 mai 1843, de la ligne de Paris à Rouen et dont certaines illustrations ont été reproduites presque à l’identique sur les assiettes (4). La juxtaposition d’une de ces gravures et de l’assiette correspondante qui en est le reflet le prouve (figures 6 et 7, page 28). Ces assiettes sont assez connues et pour certaines visibles dans des musées, comme à la Cité du Train à Mulhouse ou au Musée national de la voiture et du tourisme à Compiègne.


S’il est parfois difficile, aujourd’hui, de retrouver sur le terrain les lieux qui ont inspiré la plupart de ces assiettes, le site de l’entrée du tunnel de Rolleboise, lui, n’a subi que peu de modifications, même si, comme bien souvent, le développement de la végétation cache maintenant la vision directe sur la route qui longe la Seine et sur la Seine elle-même (figures 8 et 9).

L’assiette n° 5, Un pont sur la Seine (figure 10), est un exemple de la difficulté que nous rencontrons parfois pour localiser précisément les sites représentés. Le dessin de cette assiette est inspiré de façon assez libre de la gravure qui illustre l’en-tête du Programme-itinéraire. Chemin de fer de Paris à Rouen (figure 11), et que n’accompagne aucune précision sur son origine géographique. On aurait pu penser au pont de Suresnes, sauf que la tour du sémaphore Chappe que l’on aperçoit en arrière-plan à gauche pose un problème. En effet, la seule installation de ce type située à proximité est celle du Mont Valérien et ne peut donc apparaître sous cette perspective.

Les illustrations des six autres assiettes produites à Choisy se rapportent à la ligne de Paris à Orléans dont l’inauguration, le 2 mai 1843, a précédé d’une journée celle de la ligne de Paris à Rouen. Elles ont pour source d’inspiration les lithographies commandées à Jean-Jacques Champin par la compagnie exploitante et publiées sous la forme d’un magnifique album en 18455. À titre d’exemple, l’assiette n° 7, Viaduc à Choisy-le-Roy, est à rapprocher de la lithographie correspondante (figures 12 et 13). Signalons cependant que, dans le cas de ces six assiettes, il ne s’agit plus d’une simple copie de dessin. En effet, à partir d’une lithographie, il faut préparer une gravure sur une plaque de cuivre dont le dessin doit s’accommoder dans un cercle. On peut par ailleurs constater que l’artiste a effectué des compressions et des coupures par rapport aux lithographies. Cela est particulièrement visible sur l’assiette n° 12, Ateliers et débarcadère à Orléans, qui gomme la cathédrale (partie gauche de la lithographie correspondante) pour ne conserver que les installations ferroviaires proprement dites (figures 14 et 15). L’image originelle reste toutefois parfaitement reconnaissable.







La technique de décoration des céramiques par transfert imprimé

Inventée en Angleterre au milieu du XVIIIe siècle, la technique de l’impression dans les manufactures de céramique semble avoir été introduite en France vers les années 1780 (6).


Cette technique consiste à imprimer, à l’aide d’une plaque de cuivre gravée, un motif sur une feuille de papier mince et à plaquer cette feuille encore imbibée d’encre humide sur un « biscuit » de faïence. Le biscuit est le résultat d’une première cuisson de la pièce qui a été préparée auparavant à partir d’une pâte argileuse et formée dans un moule. Le motif s’incruste alors à la surface de ce « biscuit » et la feuille est retirée délicatement après trempage. Une deuxième cuisson, après avoir appliqué une couche mince d’émail sur la pièce, permettra de fixer le dessin à la surface de l’assiette et d’assurer son étanchéité. Comme la feuille imprimée est obtenue à partir d’une plaque de cuivre gravée, on peut donc imprimer beaucoup de copies du même dessin et produire des assiettes identiques en série. On estime que 200 à 250 assiettes peuvent être décorées journellement par une ouvrière en 1820-1830.


Les pièces de céramiques ainsi décorées peuvent prendre des formes très diverses. Ce sont principalement des assiettes dites « parlantes », souvent produites en séries de douze, des services de table, des services à café ou à thé, des pichets, des encriers, des sucriers ou tout autre accessoire de la vie courante fabriqué en céramique.


Les thèmes des illustrations sont multiples : portraits de personnages, paysages antiques et modernes d’Italie ou de France, vues de monuments, illustrations inspirées d’œuvres littéraires, scènes militaires, etc. Les sujets d’actualité, dont font partie les chemins de fer, occupent aussi une place non négligeable. À noter que, si les scènes ferroviaires des assiettes parlantes ont trait principalement à des paysages entre 1844 et 1851, c’est l’aspect satirique qui sera retenu plus tard.

(1)- Le terme de céramique regroupe les différents produits obtenus à partir de terres cuites tels que faïence, faïence fine, porcelaine, terre de fer et autres terres cuites qui ont été obtenues soit manuellement soit par un procédé industriel plus ou moins mécanisé. Nous utiliserons ce terme de façon générale sauf s’il s’agit d’un type particulier et bien identifié. On trouvera une description détaillée des différentes céramiques dans : Dorothée Guillemé-Brulon, « Les diverses céramiques, définitions, origines, compositions, techniques », Les Dossiers de la faïence fine, n° 2, juillet 1995, 6 p.

(2)- Voir Joseph-Jean Paques, « Les premiers chemins de fer en France à travers des illustrations d’époque. Deuxième épisode : L’Alsace s’organise aussi en 1839 (2/2) », Les Rails de l’histoire, n° 7, novembre 2014, p. 26-33.

(3)- M.A. Asselberghs, Versied verslag van de lotgevallen van de Stoomlocomotie, De Bezige, Pays-Bas, 1959, 226 p.

(4)- Jules Janin, Programme-itinéraire. Chemin de fer de Paris à Rouen, Paris, E. Bourdin, mai 1843, 4 p.

(5)- Jean-Jacques Champin (lithographies) et Salvador Tuffet (texte), Paris-Orléans ou parcours pittoresque du chemin de fer de Paris à Orléans. Publié sous les auspices de M. F. Bartholony président du conseil d’administration du chemin de fer de Paris à Orléans. Paysages, sites, monuments, aspects de localités choisies parmi ce qu’il y a de plus remarquables sur tout le trajet, Paris, 1845, 124 p. [60 vignettes, 50 planches lithographiées].

(6)- Christian Maire, « L’impression sur faïence fine, Histoire-Technique- Iconographie », Les Dossiers de la faïence fine, n° 11, juin 2001, révision février 2007, 7 p.

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