Deuxième partie : les assiettes de la manufacture Guyon de Boulen & Compagnie à Gien
Joseph-Jean Paques, Montréal, Québec (texte et photos)
Tout comme celle de Choisy avant elle (1), la manufacture de Gien a produit, entre 1844 et 1851, des assiettes à thème ferroviaire (2). Avec cette différence, toutefois, que les illustrations qui y figurent ne sont pas des copies de gravures déjà publiées ; mieux, leurs auteurs sont connus, leur signature faisant foi.
La manufacture Guyon de Boulen & Compagnie – de « porcelaine opaque » selon la marque de fabrique imprimée au dos des assiettes – a produit deux séries d’assiettes de douze unités chacune. Ces assiettes portent sur les lignes de Paris à Rouen et de Paris à Orléans, toutes les deux inaugurées en 1843, exception faite de deux vues empruntées aux lignes de Paris à Saint-Germain et de Paris à Versailles Rive Droite, ouvertes en 1837 et 1839.
Deux artistes ont travaillé à ces séries. Le premier est très probablement John Copeland, identifié comme graveur travaillant pour Gien dès avant 1849 par Jean-Claude Renard (3) et par Monique Verboomen (4). Le second, dont seules apparaissent les initiales, JBM, et qui pourrait être Jean-Baptiste Mayer, mentionné par Christian Maire (5) et par Dominique Dreyfus (6). La datation des deux séries a été effectuée à partir du répertoire des marques de fabrique mis à disposition par le Musée de la Faïencerie de Gien (7). Les assiettes signées (fig. 1 et 2).
J. Copeland arborent la marque « Guyon de Boulen & Cie », active de 1844 et 1849 ; celles signées JBM les marques « Guyon de Boulen & Cie » ou « Geoffroy de Boulen & Cie », répertoriées de 1844 à 1851 (fig. 3 et 4).
Le choix des illustrations et l’ordre dans lesquelles elles ont été déclinées sont différents de ceux utilisés pour la production de Choisy. Si la plupart des sites retenus ont déjà servi de modèle par le passé à des gravures sur bois ou à des lithographies, aucune de celles-ci ne peut être reliée au travail de Copeland et de Mayer. Il s’agit donc bien ici de dessins originaux réalisés spécifiquement pour Gien.
Curieusement, la numérotation des assiettes n’obéit à aucune logique : les sites retenus ne se succèdent pas comme ils le devraient au départ de Paris, et l’on retrouve des illustrations de la ligne de Paris à Rouen intercalées entre des illustrations de la ligne de Paris à Orléans.
Chacune des deux séries d’assiettes a fait l’objet de plusieurs variantes, qui diffèrent selon leur bordure et leur couleur. Les séries d’assiettes signées J. Copeland offrent ainsi deux types de bordure distincts, celles signées JBM, quatre. Parmi ces six types de bordure, deux seulement sont d’inspiration ferroviaire, une pour chaque série. On notera que la composition de la bordure à connotation ferroviaire des assiettes signées J. Copeland n’est pas immuable : elle fait appel à six motifs différents introduits à raison de trois par bordure et disposés dans un ordre plus ou moins aléatoire, avec parfois la reprise du même motif sur la même assiette.
La couleur change aussi selon les productions : monochrome noir, monochrome bleu ou bicolore brun clair et noir.
À l’occasion de la célébration, en 1982, du 150e anniversaire des chemins de fer français, les Éditions La Vie du Rail ont fait fabriquer par la manufacture de Gien une assiette unique sur le modèle de celle signée JBM sous le n° 9 « Gare d’Orléans ». Toutefois, le motif de la bordure est répété cinq fois et non quatre comme dans le type « C ». Toujours pour les Éditions La Vie du Rail, Gien a encore produit, entre 1984 et 1989, une nouvelle série de six assiettes choisies arbitrairement parmi celles signées par JBM (n° 1, 2, 4, 5, 7 et 12). Ces assiettes n’ont pas les mêmes dimensions que les originales, ce qui, nonobstant les inscriptions notées au dos, évite toute confusion (fig. 5 et 6).
D’hier à aujourd’hui… voyage le long des lignes de Paris à Rouen
Commençons par le débarcadère de Paris. La série signée JBM en présente, à elle seule, trois aspects. L’assiette (n° 7, intitulée « Embarcadère de St. Germain » par référence à la compagnie primitive du même nom, se rapporte bien à la gare établie au droit de la rue Saint-Lazare (fig. 7).
Y figurent les voies et quais communs aux lignes de Saint-Germain, de Versailles RD et de Rouen. Une comparaison avec la vue similaire reproduite sur l’une des assiettes antérieurement issues de la manufacture de Choisy (8) montre bien que Jean-Baptiste Mayer a fait oeuvre personnelle par l’ajout de lampadaires à gaz et d’une palissade côté droit servant de délimitation aux emprises de la compagnie de Rouen d’une part, des compagnies de Saint-Germain et de Versailles RD de l’autre. Le pont en bois prolongeant la rue de Stockholm et le bâtiment du débarcadère primitif de la place de l’Europe sont toujours visibles à l’arrière-plan. L’absence de couverture permet d’affirmer que le croquis date d’avant 1846-1847, années d’exécution des premières grandes halles (9).
L’assiette n° 5, « Salles d’attente du chemin de fer de Rouen », montre l’intérieur des bâtiments de la gare construits aux alentours de 1842, plus précisément l’entrée de l’escalier qui permet de rejoindre la rue Saint-Lazare située en contrebas (fig. 8).
Le dessin que Daubigny en a fait en 1843 permet d’apercevoir l’ouverture donnant sur la cour côté rue Saint-Lazare (10) (fig. 9). L’assiette n° 6, « Entrée du chemin de fer de Paris », représente précisément cette cour (fig. 10). Elle est ici librement accessible, en contradiction avec l’image qu’en donnent certaines gravures datant de 1845 où l’entrée est partiellement entravée par des grilles, détail qui n’apparaît plus sur les dessins de 1847.
Ces trois assiettes font référence à des lieux aujourd’hui méconnaissables, à l’inverse, notamment, de l’assiette n° 11, « Tunnel du Roule » (Eure), sur la ligne de Paris à Rouen. Dessiné par J. Copeland, le site est toujours clairement identifiable (fig. 11 et 12).
(1)- Joseph-Jean Paques, « Les faïences fines comme illustration des premiers chemins de fer en France, Première partie : les assiettes de la manufacture de faïence fine d’Hippolyte Boulenger à Choisy », Les Rails de l’histoire, n° 10 (avril 2016), p. 28-34.
(2)- Joseph-Jean Paques, « Trois séries d’assiettes à décor ferroviaire produites à Gien », Les Dossiers de la faïence fine, n° 25 (août 2009), 40 p.
(3)- Jean-Claude Renard, Faïences de Gien. Une technique, un art de vivre, une légende, St-Cyr sur Loire, Éditions Alan Sutton, 2001, 96 p.
(4)- Monique Verboomen, Dictionnaire des motifs de la faïence fine imprimée en Belgique, Bruxelles, 2006.
(5)- « Jean-Baptiste Mayer et Lemot gravent aussi pour Longwy », Christian Maire, « L’impression sur faïence fine. Histoire-Technique- Iconographie », Les Dossiers de la faïence fine, n° 11 (juin 2001).
(6)- « J.B. Mayer grave une expédition d’Orient pour Longwy et une autre pour Gien », Dominique Dreyfus, Longwy. La belle histoire des assiettes à histoires, Metz, Éditions Serpenoise, 1987.
(7)- Site du Musée de la Faïence de Gien (gien.com). Répertoire des marques.
(8)- Voir Joseph-Jean Pâques, « Les faïences fines comme illustration des premiers chemins de fer en France », Les Rails de l’histoire, n°10, avril 2016 – figure 6, p. 28.
(9)- La première illustration connue de ces halles est précisément de 1847. Voir Jules Janin, Voyage à la mer, Paris, E. Bourdin, 1847, p. 19.
(10)- Programme itinéraire, Chemin de fer de Paris à Rouen, Paris, E. Bourdin, 1843, 4 p.
…de Paris à Orléans
Notre première étape sur la ligne de Paris à Orléans est la gare de Villeneuve-le-Roi représentée sur l’assiette n° 11 signée par JBM. Le site a été largement modifié, la gare déplacée et reconstruite. On peut toutefois toujours localiser le passage sous la voie ferrée (fig. 13 et 14).
Le site des Belles Fontaines, entre Juvisy et Savigny, illustré par l’assiette n° 8, « Fontaine de la cour de France », signée J. Copeland, est notre étape suivante. La fontaine déplacée dans un parc voisin mise à part, le site est intégralement conservé, notamment le passage de l’Orge sous la route royale (fig. 15 et 16).
Arrêtons-nous ensuite à Étampes. Le site a inspiré trois assiettes. La juxtaposition de l’image de l’assiette n° 1, « Station d’Étampes », signée par J. Copeland, avec une vue actuelle des lieux nous permet de juger des transformations apportées au site d’origine, notamment la reconstruction de la gare de l’autre côté des voies. Par contre, bien que modifié, le passage inférieur existe toujours (fig. 17, 18 et 19). L’assiette suivante, dessinée par J.B.M., donne une autre représentation du même passage, mais vu de l’autre côté de la voie ferrée, avec l’église Notre-Dame en arrière-plan (fig. 20). Elle doit être rapprochée de l’assiette produite à la même époque par la manufacture de Choisy et qui reprend le même angle (voir notre article dans Les Rails de l’histoire n°10, p. 33). On remarque que toutes les deux représentent la gare à son emplacement actuel. La troisième assiette dédiée à notre ville est la n° 5, « Grande rampe près d’Étampes », signée par J. Copeland. Cette grande courbe située à la sortie sud d’Étampes est encore bien visible de nos jours (fig. 21/22, page 26 et ci-contre).
Notre terminus est la gare d’Orléans qui est le sujet de l’assiette n° 9, « Gare d’Orléans », due à J.B.M. À défaut de pouvoir y relever la moindre similitude avec le site actuel, cette assiette a un intérêt historique lié à la représentation, à l’extrême droite du dessin, du portique qui servait au chargement des caisses de diligence sur les wagons selon le système Arnoux, dont le journal L’Illustration du 24 juin 1843 donne une description (fig. 23, p. 26). Il existe de nombreuses autres représentations de la gare d’Orléans d’origine, dont une sert de décor à l’une des assiettes produites par Choisy (voir Les Rails de l’histoire n° 10, p. 32).
Commentaires 1.
Ces assiettes sont conservées au Musée français de chemin de fer à Mulhouse dans la collection Dollfuss (M.-L. Griffaton, J.-M. Combe, « La réalité ferroviaire et ses interprétations artistiques vues à travers les collections du musée du chemin de fer », Revue d’histoire des chemins de fer, n° 10-11 (1994).
Commentaires 2.
Numérotation certaine de la série originale.
Commentaires 3.
Numérotation incertaine de la série originale. Hypothèse : double numérotation dans la même série originale produite par Gien ; cette assiette n’aurait-elle pas dû être numérotée 5 ? Le numéro 3 visible sur l’assiette produite pour La Vie du Rail semble original.
Commentaires 4.
Cette assiette est numérotée 5 dans la série de 6 assiettes produites pour La Vie du Rail.
Commentaires 5.
Assiette produite pour La Vie du Rail, sans les autres de sa série, avec l’annotation : « 150e anniversaire du chemin de fer français, 1832- 1882 » ; plus grande que la taille d’origine.
Commentaires 6.
Numérotation incertaine de la série originale. Hypothèse : cette assiette est numérotée 6 dans la série produite pour La Vie du Rail, mais le numéro semble avoir été modifié à la gravure ou s’agit-il d’une erreur de numérotation de la série originale ?
Commentaires 7.
Nous n’avons pas eu accès à une version d’époque de cette assiette, mais seulement à la version produite pour La Vie du Rail.
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