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Roger Ferlet (1903-1983), directeur emblématique de La Vie du Rail

Dernière mise à jour : 20 juil. 2023

Par Bruno Carrière


Directeur de Notre Métier puis de La Vie du Rail de 1949 à 1966, Roger Ferlet a été l’artisan du succès du journal qui, au moment de son départ en retraite, revendiquait quelque 250 000 abonnés et un tirage de 289 000 exemplaires, faisant jeu égal avec les hebdomadaires les plus en vue de son époque. Cette réussite est due autant à ses qualités managériales qu’à ses talents d’homme de lettres. Ses relations suivies avec les milieux littéraires et journalistiques ont permis au journal de faire oublier son essence corporative pour s’imposer comme un organe susceptible d’intéresser un plus large public. La Vie du Rail dans les salles d’attente des médecins, ce n’est une légende.


Roger Ferlet (LVDR n° 1884, 10 mars 1983)



Ardéchois d’origine, Roger Ferlet est né le 2 octobre 1903 à Lyon, ville d’adoption de son père, mécanicien de route au dépôt de Vaise de 1899 à 1922. Entré à l’Ecole centrale lyonnaise grâce à une bourse du PLM, il en sort en 1923 en tant qu’ingénieur[1]. Après avoir rempli ses obligations militaires comme sous-lieutenant au 54e régiment d’artillerie de campagne stationné à Lyon (du 13 novembre 1923 au 7 novembre 1924), il débute sa carrière professionnelle, toujours dans sa ville natale, comme employé chez l’entrepreneur Favat, puis comme conducteur de travaux à l’entreprise Générale d’Electricité Collet frères et Cie, et enfin comme répartiteur d’atelier aux Etablissements Berliet. Il intègre le PLM le 16 février 1925 en qualité de journalier temporaire de bureau à l’arrondissement Voies et Bâtiments de Nevers, puis, à partir du 1er mars 1926, comme dessinateur au 4e arrondissement Voies et Bâtiments de Lyon (bureau des Etudes). Lors de son départ en retraite en 1967, il rappellera, qu’enfant, il décortiquait les carnets des marches des trains que lui apportait son père deux fois par an. Des problèmes de vue l’empêchèrent de briguer la filière Traction à laquelle il aspirait.



Ingénieur, journaliste, écrivain, publicitaire


Le Grand élan à la robe claire (roman, 1935)


Mais sans doute aspire-t-il déjà à une autre orientation : « Les fastidieuses besognes des débutants ne le découragèrent pas, rapportera Louis Geoffroy[2] quelques années plus tard, mais pour en tromper la monotonie, il organisa sagement ses loisirs, les consacra à l’étude, apprit à écrire. On le vit faire alors ses premières armes dans le journalisme. » De fait, au début des années 1930, il collabore à divers titres de la presse régionale (Tout-Lyon, le Lyon républicain, Le Mémorial de Saint-Etienne, etc.) et apporte sa contribution à Technica, le bulletin mensuel de l’Association des anciens élèves de l’Ecole centrale lyonnaise, pour lequel il produit en 1932-1933 plusieurs papiers consacrés à la Suède[3]. Son pays de prédilection puisque c’est là qu’il fait connaissance de Tyra Svensson, fille d’un inspecteur des chemins de fer royaux de l’Etat de Suède, qu’il épouse le 13 février 1933[4].


En octobre 1935, il publie chez Plon son premier roman, Le Grand élan à la robe claire, dont l’action se passe tour à tour sur la Côte-d’Azur et dans les régions montagneuses du nord de la Suède. Œuvre favorablement accueillie par la critique, à commencer par celle de ses condisciples par le biais de Technica : « C’est, à la fois, un attachant roman d’amour, une étude pénétrante de l’âme féminine suédoise, le plus instructif des ouvrages documentaires, et, sous une forme délicatement poétique, une œuvre qui élève l’esprit et fait penser. Nous n’avons pas à présenter Roger Ferlet aux lecteurs de cette revue : si à beaucoup d'entre eux il apparaît surtout comme le plus dévoué et le plus charmant des camarades, tous ont apprécié les articles parus ici même sous sa signature […]. De tout cœur, nous souhaitons à Roger Ferlet tous les succès mérités par son talent et son attachante personnalité » (n° 31, septembre 1935). La rubrique « Lectures » du Bulletin PLM s’en fait également l’écho sous la plume de Charles Dambies. Après avoir reconnu que l’auteur lui était inconnu et que le titre du roman le laissait dubitatif, il finit par reconnaître qu’il y avait dans cet ouvrage « beaucoup de finesse psychologique ». Préjugé favorable pour un homme du sérail ? Non pas : « Tel était mon jugement sur ce livre, poursuit Dambies, lorsque le hasard m’a fait découvrir dans son auteur un agent du Service de la Voie de Lyon. A l’impartialité du compte rendu déjà écrit, il m’est très agréable d’ajouter, en post-scriptum, que le Bulletin est heureux de signaler à ses lecteurs l’œuvre de l’un des leurs » (n° 43, janvier 1936).


Mais plus que ce premier roman, c’est l’écriture d’un opuscule consacré au rôle de la publicité dans le monde moderne, La force de la propagande, essais de psychologie appliquée, qui va décider de sa nouvelle orientation professionnelle. Publié en avant-première par épisodes comme supplément à la revue Technica de juin 1935 à avril 1936, il fait l’objet d’un tirage indépendant par la Librairie des Sciences Girardot et Cie (Paris) à l’automne 1936. Abondamment signalé par la presse, il est présenté comme « un véritable cours de publicité clair, précis, rempli d’idées nouvelles et de points de vue originaux », et est appelé à être « pour beaucoup, sinon une révélation, au moins une explication de cette force immense qui commande, à notre insu, la plupart de nos actes : la propagande » (La Publicité, journal technique des annonceurs, novembre 1936). De quoi attirer l’attention de la direction du PLM qui, à la lecture de Technica, lui propose d’intégrer son bureau de la Publicité à Paris, chose faite au 1er janvier 1936 en qualité de contrôleur technique. Mieux, il est versé presque aussitôt au Service commun de publicité des Grands Réseaux.


C’est au lendemain de sa mutation qu’il rencontre pour la première fois Louis Geoffroy, à qui il apporte un exemplaire de son travail, le début d’une amitié indéfectible. Celui-ci en signale la parution dans Le Bulletin PLM de septembre 1936 : « Certains lecteurs penseront sans doute que son nouveau et excellent livre sur "la force de la Propagande" n’a peut-être pas été étranger à cette affectation et ils n’auront pas tort. C’est à un véritable inventaire de tous les rouages de la publicité que M. Ferlet s’est livré. Inventaire des plus instructifs, plein de renseignements, de conseils et de rappel précieux, autant pour ceux qui jonglent avec la publicité que pour tous ceux qui ne savent pas encore la manier. »


Pour la petite histoire, précisons que Ferlet participa aux deux concours de « slogans » annoncés par le PLM en mars 1935 et portant, pour l’un, sur un slogan d’ordre très général pouvant accompagner toute publicité faite par le Réseau, pour l’autre, sur un slogan appliqué plus spécifiquement aux sports d’hiver. Rendus au mois de mai suivant, les résultats font apparaître notre homme au nombre des lauréats du deuxième concours, classé en troisième position avec quatre autres candidats (sur 1 196 participants) et récompensé par un prix de 100 francs. La teneur de son slogan ne nous est malheureusement pas parvenue.


A Paris, outre ses impératifs professionnels (il est versé en 1938 au nouveau Service de la Publicité commerciale SNCF en tant qu’Inspecteur), Ferlet continue de collaborer avec la presse généraliste sous la forme de petits textes techniques s’adressant à un large public (exemple, ce papier publié en octobre 1938 par le magazine Jeunesse magazine : « Un laboratoire pour locomotives », consacré au banc d’Ivry) et, plus encore, de critiques littéraires. C’est d’ailleurs à ce dernier titre que Geoffroy lui offre d’assurer la rubrique « Lectures » de Notre Métier, le tout nouveau journal lancé par la SNCF en mai 1938.



Animateur des « Amis de Notre Métier »


Mais un autre challenge l’attend : la création, pour venir en appui de Notre Métier, d’un « club d’amis de la revue » sur le modèle des « Booster-clubs » des chemins américains, ambition que Geoffroy n’avait pu concrétiser dans le cadre du Bulletin PLM. La formation de la Société « Les Amis de Notre Métier » est annoncée en janvier 1939. Elle tient son assemblée constitutive le 15 février en vue du dépôt légal de ses statuts et l’élection des membres de son conseil d’administration, lesquels arrêtent le 24 la composition de son bureau permanent établi comme suit : Président, M. Ferlet ; Secrétaire, M. Blondel ; Trésorier, M. Chasseuil ; Conseillers, Mlles Grange et Boulart, MM Benité, Bertrand, Bourgeat, Falaize, Gau, Gillet et Girod-Emery[5].


Dans son dernier numéro du 15 juillet 1939, entièrement dédié aux œuvres sociales de la SNCF, Notre Métier donne la parole à Ferlet en tant que représentant de l’Association « Les Amis de Notre Métier ». L’occasion pour celui-ci de rappeler une évidence : « Je suis étonné quand je pense qu’il a fallu cent ans de vie ferroviaire pour qu’on songeât à créer une Société pareille à la nôtre, tandis qu’il existe, en dehors de la corporation, des Sociétés agissantes telles que l’Association française des amis des chemins de fer[6]. Et nous, qui vivons du rail comme nos pères en ont vécu – comme nos fils aussi en vivront sans doute – nous, cheminots de tradition, ne serions-nous pas tous des amis du chemin de fer, des Amis de Notre Métier ? » Et de préciser le rôle joué par l’Association auprès du journal du même nom : « Bien que nettement distincts de la Revue, qui possède son organisation propre (Rédaction et Administration), nous voulons favoriser de notre mieux sa diffusion payante, nous surveillons autant que possible la vente au numéro dans les gares, nous entendons faire toute la publicité en notre pouvoir (presse, radio, manifestations), en résumé nous voulons la mettre en avant le plus possible pur qu’elle prospère toujours davantage. Enfin, nous nous tenons en contact suivis avec la Rédaction et nous lui présentons nos suggestions. Nous pensons l’aider ainsi, de numéro en numéro, à s’adapter avec succès aux goûts forcément très divers de ses cinq cent mille lecteurs. »



Les Amis de Notre Métier, 1938


Pour plus de lisibilité, l’Association obtient de Notre Métier un espace dédié au sein de la rubrique « Les renseignements de Notre Métier » qui, sous la têtière « Chez Les Amis de Notre Métier », lui permet de rendre compte de ses activités. Le journal sert également de support aux concours qu’elle organise (annonce, règlement, résultats)[7].

L’adhésion aux « Amis de Notre Métier » est de 12 francs par an, 20 francs pour deux ans et 30 francs pour trois ans. L’Association est hébergée dans les murs du Service Commercial de la SNCF au 54, boulevard Haussmann, à Paris, où elle aménage son « cercle ». Ouvert à tous les cheminots, adhérents ou non, celui-ci se compose de deux vastes pièces abritant une salle de jeux et un salon de lecture. Il est doté, en outre, de tout le matériel nécessaire à la projection de films. Il est, par ailleurs, susceptible d’accueillir des réunions les plus diverses, y compris des départs en retraite ou des vins d’honneur. Un bulletin d’information (n° 1, mai 1939) est distribué à tous les adhérents qui, moyennant 4 francs, sont invités à acquérir un insigne distinctif « d’une sobre élégance » en bronze patiné (bouton ou broche ou breloque) représentant une locomotive, « le symbole de Notre Métier ».



Captivité en Allemagne


La déclaration de guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939 met un frein aux ambitions des « Amis de Notre Métier », le journal étant lui-même réduit à la portion congrue. L’Association entend toutefois poursuivre sa tâche quoique privée de ses principaux animateurs. Eloigné de Paris, le lieutenant Ferlet tient à informer personnellement les adhérents de sa situation et du devenir l’Association en son absence : « Chers Amis de Notre Métier, votre Président est mobilisé et se trouve "quelque part dans l’Est" avec une batterie d’artillerie. Blondel, notre Secrétaire, est lui aussi, "quelque part là-bas" dans un ouvrage de la ligne Maginot, et Chasseuil, le Trésorier, est dans l’artillerie lourde sur voie ferrée. Les membres du Conseil qui ne sont pas mobilisés vont nommer une Commission administrative [puis exécutive] qui assurera la gestion de notre Société pendant la durée des hostilités » (Notre Métier, n° 2, 15 décembre 1939). Le tout premier acte de cette Commission, composée de cinq membres (Président : André Bertrand ; Secrétaire : M. Geoffroy ; Trésorière : Mme Reveillaud ; Assistantes : Mlles Arthaud et Grange), est de voter l’adhésion de l’Association au Comité National de Solidarité des Cheminots affirmant par là son désir de collaborer à la grande œuvre de secours et d’entr’aide de la famille cheminote. Elle se propose, par ailleurs, comme activité principale, d’aider Notre Métier à maintenir le contact étroit avec les cheminots mobilisés, notamment en les pourvoyant, en lectures. Pour ce faire, son nouveau président en appelle à la générosité de ses adhérents : « Nous faisons appel à toutes les générosités que vous pourrez intéresser à notre Service d’envoi de lectures aux cheminots aux Armées. Ajoutons qu’à côté des dons en espèces, nous recevrons avec joie les dons en nature. Vous avez certainement, vous et vos amis, des lots de livres intéressants, mais que vous ne comptez pas conserver dans votre bibliothèque ; vous avez aussi des revues, des illustrés. Ne les laissez pas vieillir sans emplois dans quelque débarra, alors que nous en avons tant besoin pour nos collègues aux Armées » (Notre Métier, n° 5, 15 mars 1940).


Dans l’immédiat, le siège de l’Association est provisoirement transféré dans les locaux de Notre Métier au 88, rue Saint-Lazare par suite de la fermeture temporaire du cercle du boulevard Haussmann. En février 1942, le directeur du Service Commercial de la SNCF, Charles Boyaux décidera de la réouverture de ce dernier. Bien que confié aux bons soins de Bertrand, il sera considéré avant tout comme l’un de ces « Foyers des cheminots » dont chaque grands Services de la SNCF implantés à Paris s’honorent alors de proposer à leurs personnels. Il est accessible aux cheminots chaque jour de 12 h à 14 h – qui peuvent venir s’y reposer, lire ou se distraire avec des jeux mis à leur disposition – et à leurs épouses et enfants en hiver de 14 h à 19 h afin qu’ils puissent profiter du chauffage de l’immeuble.


Pour Ferlet, faits prisonnier au lendemain de l’offensive allemande de mai 1940, commence une longue période de captivité derrière les barbelés de l’Oflag XB de Nienburg-sur-Weser (province de Hanovre)[8]. En juillet 1943, les Renseignements hebdomadaire SNCF est en mesure de donner de ses nouvelles dans son évocation du retour en France de prisonniers rapatriés : « Et tout dernièrement, nous rencontrions, à l’hôpital Charras, de Courbevoie, le rapatrié Tinel, un "non-cheminot" lui aussi. Durant toute sa captivité, il avait été là-bas l’ordonnance d’un de nos collègues, le lieutenant Ferlet, Président des Amis de Notre Métier. Et c’est pour cela qu’il s’était empressé de de nous signaler son rapatriement car il avait à nous transmettre l’amical message de notre collègue, diverses commissions aussi. Par ce modeste agriculteur, heureux d’aller retrouver sa Normandie natale, nous eûmes bien des détails sur l’existence laborieuse de notre ami au camp, sur ses réalisations agricoles - et même apicoles - dans un pauvre petit terrain qu’il a pu aménager à proximité de sa baraque. Malheureusement, le sol est aride, très sablonneux et en dépit des achats d’engrais, les légumes viennent difficilement. Nous apprîmes aussi que notre ami ne travaille pas seulement la terre. Il lit, il étudie, il écrit… et le temps s’écoule ainsi plus vite, pour le plus grand bien du moral[9]. »

Des nouvelles, Geoffroy en reçoit directement depuis plus longtemps. C’est ce qu’il rappelle en 1946 aux lecteurs de Notre Métier, fraîchement resuscité, à l’occasion de la sortie en librairie du second roman de Ferlet, Ardesco : « Mais nous ne cessâmes jamais d’entretenir ensemble une fraternelle correspondance. En écrivant très petit, en recourant aux abréviations, au style télégraphique et à certaines formules combien elliptiques, nous arrivions à nous dire l’essentiel. Il eut l’occasion de me réconforter et, moi aussi, je sais que mes lettres furent précieuses à son moral (même quand elles le firent menacer de punition, parce qu’écrites trop serrées !). Par Genève [via la Croix-Rouge], je reçus, un jour de 1942, un volumineux cahier cartonné : le manuscrit d’"Ardesco". Exposé aux bombardements, ne sachant combien allait encore durer son exil, ni s’il en reviendrait, Ferlet avait joint à son envoi une procuration régulière à mon nom, me donnant tout pouvoir, tant pour traiter à sa place avec les éditeurs que pour modifier si besoin le manuscrit. Cette marque, si totale de confiance m’émut profondément, d’autant plus qu’il s’agissait là d’une procuration générale, valable pour toutes les autres œuvres auxquelles mon ami travaillait et qui allaient également m’être adressées par la Croix-Rouge[10]. » Par prudence, Geoffroy fait transcrire le roman en plusieurs exemplaires, déposés chez diverses personnes, notamment en province. Une démarche fondée, le manuscrit original, présenté à l’exposition organisée par la Croix-Rouge française au Grand Palais – « L’Ame des camps De la vie intellectuelle, spirituelle et sociale dans les camps de prisonniers » – échappant de peu, le 23 août 1944, à l’incendie des lieux par les Allemands lors de la libération de Paris.

En attendant son hypothétique retour, Bertrand, épaulé par Geoffroy, travaille à maintenir la visibilité des « Amis de Notre Métier ». Dans son édition du 10 juillet 1942, les Renseignements hebdomadaires SNCF annonce la publication, sous les auspices de la Commission exécutive de l’Association d’un fascicule, La SNCF parle à son personnel, destiné à être distribué dans tous les Stalags et Oflags détenant des cheminots. Si 1 500 exemplaires sont appelés à prendre la direction de l’Allemagne, quelques centaines d’autres seront proposés à la vente au profit de l’Association, qui reversera une part du prix de vente de chaque volume (20 francs) au Comité National de Solidarité des Cheminots. Ce qu’il contient ? Son sous-titre l’indique : « Causeries professionnelles, sociales et familiales aux cheminots depuis le 25 juin 1940. » En clair, une sélection des éditoriaux des Renseignements hebdomadaires SNCF qui, présentés dans l’ordre chronologique, entend, par la relation des efforts, travaux, mais aussi faiblesses des cheminots en poste, et par les références nombreuses à ceux retenus loin de leur outil de travail, maintenir et renforcer l’esprit corporatif entre les uns et les autres. Le succès rencontré par l’ouvrage conduit à sa réédition en janvier 1943.

Une autre action des « Amis de Notre Métier » est son engagement artistique au sein du Foyer des cheminots du 54, boulevard Haussmann qui, à l’initiative de Bertrand, a pris l’habitude d’offrir chaque mercredi de 13 h à 13 h 30 « une récréation musicale » (concerts de chambre, chants lyriques). Cette démarche conduit l’Association a demandé son affiliation à l’Union artistique des cheminots français (UACF). Dite « des Services Centraux », elle devient, en février 1944, la sixième et dernière de ses Amicales Régionales. Le président en est Ferlet, élu bien que toujours prisonnier. En son absence, l’intérim est assuré par son vice-président, Brisson, Inspecteur au Service Central du Personnel, entré entre-temps au Comité d’exécution de l’Association.



Chef d’entreprise et homme de lettres


L’annonce du bombardement accidentel de l’Oflag XB, le 4 février 1945, par la RAF, laisse craindre un moment que Ferlet soit au nombre des 97 tués, inquiétude vite levée. Cependant, il fait partie des hommes que les Allemands évacuent le 5 avril sur le Stalag de Wietzendorf (au sud d’Hambourg), libéré par les Anglais le 22 avril. Si Notre Métier informe ses lecteurs, le 8 juin 1945, de sa délivrance, il doit attendre la fin de l’été pour être rapatrié. Son appartement partiellement sinistré lors du bombardement de Bécon de 1943, sa résidence ardéchoise incendiée, son épouse, accusée d’y avoir caché des armes, en fuite en Suisse, Ferlet peut compter sur l’appui inconditionnel de Geffroy, qui obtient qu’il soit versé à la Direction du Personnel à compter du 1er septembre 1946[11]. Incorporé à la rédaction de Notre Métier, domicilié depuis fin mars 1946 au 11, rue de Milan, Paris-8e[12], il y récupère notamment, en juillet 1947, « la rubrique des lectures » après une éclipse de plus de huit années. Il n’échappe cependant à personne que son rôle au sein du journal est plus important qu’il n’y paraît. De fait, Geoffroy, confronté à une « pénible et longue maladie », s’en remet de plus en plus à lui. C’est donc tout naturellement, qu’à la suite de son décès, le 20 décembre 1948, il prend la direction de Notre Métier, les fonctions de rédacteur en chef étant assurées depuis le mois de septembre 1947 par Jean Salin, autre transfuge du PLM. Il n’en reste pas moins placé, tout comme Geoffroy avant lui, sous la surveillance d’un Comité de rédaction présidé par le chef adjoint du Service central du personnel de la SNCF, Henri Flament.


Quid des « Amis de Notre Métier » ? A la suite du déménagement de Notre Métier, fin mars 1946, au 11, rue de Milan, l’Association prend ses quartiers au 3, impasse d’Amsterdam, Paris-8e. Dans son n° 135 du 27 janvier 1948, Notre Métier consacre une pleine page à l’assemblée générale des « Amis de Notre Métier » qui s’est tenue le 5 décembre précédent. Cette session, peut-on lire, « a marqué la renaissance, ou plutôt le nouveau départ de la Société après sa quasi-mise en sommeil des années de guerre ». Curieusement, sa présidence n'est plus assurée, à cette date, par A. Bertrand, mais par Joseph Lézer, ancien directeur de la Région du Sud-Est parti retraire en juillet 1946, le premier n’apparaissant plus que comme vice-président chargé de présenter le rapport sur les années de guerre. L’élection du nouveau conseil d’administration confirme d’ailleurs Lézer et Bertrand dans leurs fonctions réciproques. Si Geoffroy est toujours membre du bureau permanent en qualité de conseiller technique, Ferlet disparaît de l’organigramme. Sans entrer dans le détail de ses ambitions, citons comme « premier acte de redémarrage » la publication quelques mois plus tôt d’un « agenda ferroviaire de poche » pour 1948. Tiré à 10 000 exemplaires, vendu par souscription, il offre en 192 pages, outre les pages d’éphémérides habituelles, toute une partie rédactionnelle très documentée (grandes dates du chemin de fer, principales données statistiques de la SNCF, programme d’avenir de la SNCF, etc.). Il sert également de support à un concours destiné à récompenser l’auteur du meilleur article à paraître en 1948 dans Notre Métier. Doté de 10 000 francs, il prend le nom de « Prix Louis Geoffroy » en mémoire, non pas du rédacteur en chef de Notre Métier, mais du « regretté conseiller technique » de l’Association ! Les résultats sont publiés en avril 1949, Henri Lartilleux et Louis Geoffroy se partageant la récompense, le premier pour son article « Le Canada et ses chemins de fer », le second pour celui consacré à « Leclerc et les cheminots ». Deux nouvelles éditions de l’Agenda ferroviaire de poche suivront pour les années 1949 et 1950, les souscriptions pour la dernière (lancées à l’automne 1949) devant être adressées, non plus aux correspondants locaux de Notre Métier comme précédemment, mais directement au 3, impasse Amsterdam à l’ordre de « Pour le rail ». Les références aux « Amis de Notre Métier », s’arrêtent là.


Aux commandes de Notre Métier, Roger Ferlet n’a eu de cesse d’améliorer et de développer l’héritage de son prédécesseur, ce à quoi il parviendra haut la main. Mais ses succès de chef d’entreprise ne doivent pas occulter son action de « communicant » visant à faire connaître le journal hors les murs de l’institution ferroviaire. Pour ce faire, notre homme s’est beaucoup appuyé sur la notoriété que lui a apporté son statut d’homme de lettres. Publié en 1946, son roman Ardesco n’est que le second d’une longue série. C’est d’ailleurs en sa qualité d’auteur reconnu qu’il est promu officier de la Légion d’honneur en 1959[13]. A cette date, il compte déjà à son actif un recueil de nouvelles, Q.U.H., avez-vous une femme à bord ? (1957) et sept romans : Le grand élan à la robe claire (1935), Ardesco (1946), L’amour d’une ombre (1948) ; Véronique Alvernèse (1954), La Madrague (1955), De la soie dans les veines (1956), Valentine (1957)[14]. Une œuvre naissante déjà couronnée par plusieurs prix : le prix du conseil général de l’Ardèche (pour Ardesco), le grand prix du roman de la Société des Gens de Lettres de France (pour Véronique Alvernèse et la Madrague), le prix du roman de la Pensée Française et le prix Paris-Lyon (pour De la soie dans les veines), le prix Sully-Olivier de Serres (pour Valentine), le grand prix littéraire du Tourisme 1962 (pour La terre vivaroise, trilogie regroupant les opus Ardesco, La Madrague et Valentine). Une quinzaine d’autres livres suivront[15].



La mémoire d’Alphonse Daudet


Musée Alphonse Daudet

Une autre raison a guidé la nomination de Ferlet au grade d’officier de la Légion d’honneur au titre de l’Education nationale : son implication dans la mise en valeur de l’œuvre Alphonse Daudet, un sacerdoce qui remonte à 1936 lorsqu’il acquiert le mas de la Vignasse, une ancienne magnanerie, maison de la famille maternelle du père des Lettres de mon moulin, érigée à St Alban-Auriolles, modeste commune ardéchoise. Il n’a eu de cesse depuis de rassembler, avec passion et obstination, documents et objets se rapportant à Alphonse Daudet, jusqu’à faire du mas un véritable sanctuaire consacré à son auteur fétiche, doublé d’un conservatoire des Arts et traditions populaires du Vivarais. Fréquentés sur invitation par nombre de chercheurs, les lieux sont ouverts au grand public le 26 avril 1953 et le musée Alphonse Daudet officiellement inauguré le 6 juillet 1969 en présence de l’écrivain Armand Lanoux. C’est d’ailleurs dans la cour d’honneur du bâtiment que, le 30 avril 1959, Jean Sauvajol, directeur de la Région de la Méditerranée, lui décerne les insignes d’officier de la Légion d’honneur, remise précédée quelques instant plus tôt par celle de la croix de chevalier des Arts et Lettres. A sa mort en 1983, son épouse continuera à maintenir seule le musée avant de se résoudre à le céder en 1990 à la commune, aidée financièrement par le Conseil général. Il a fait l’objet d’une rénovation en 2013. Rien d’étonnant donc à ce que Ferlet présida pendant de longues années l’Association des amis d’Alphonse Daudet, et fut membre de la vénérable Académie de Nîmes et de l’Académie rhodanienne des lettres[16].


Le dernier argument retenu pour son élévation au rang d’officier de la Légion d’honneur est le rôle primordial qu’il a tenu dans la création du prix Chatrian destiné à récompenser une œuvre littéraire d’inspiration ferroviaire. Notre Métier en fait l’annonce le 12 juin 1950. Dédié à Alexandre Chatrian (1826-1890), petit employé puis chef de bureau à la Compagnie de l’Est, dont l’héritage littéraire, réalisé en collaboration avec Emile Erckmann (1822-1899), est une des richesses du patrimoine littéraire français, l’origine du prix repose sur un constat. Alors que les peintres cheminots ont chaque année la possibilité de concourir pour le prix Emile-André Schefer, créé en 1946 en mémoire du célèbre et regretté dessinateur du rail, et que les cheminots photographes peuvent s’exprimer à travers le concours annuel que leur réserve Notre Métier depuis 1948, l’équivalent n’existe pas pour les littéraires : « Ceux d’entre nous qui ont la plume pour "violon d’Ingres" sont moins favorisés. Notre Métier s’est toujours efforcé de leur ouvrir ses colonnes, mais ils n’ont pu bénéficier jusqu’ici d’aucune aide spéciale en matière d’édition ou de diffusion ». Sa fondation a pu être assurée grâce à la générosité du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP), de la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB), de la Société nationale des chemins de fer vicinaux belges (SNCV), de l'Office des chemins de fer algériens (OCFA), de la Compagnie des chemins de fer du Maroc (CFM) et de l’Office Central des chemins de fer de la France d’Outre-Mer (OFERFOM).


Doté de 50 000 francs, le prix Chatrian était décerné chaque année, sous le patronage de la Société des Gens de Lettres de France, par un jury composé d’écrivain et de personnalités des chemins de fer. Présidé jusqu’en 1966 par Pierre Descaves[17], celui-ci prit rapidement l’habitude de se réunir à Paris, au buffet gastronomique de la gare de l’Est, puis à partir de 1971, dans les salons du restaurant le Train Bleu de la gare de Lyon. Il était de tradition qu’un membre de l’Académie française et un membre de l’Académie Goncourt en fassent partie (à l’exemple de Maurice Genevoix et d’Armand Lanoux en 1972). Le premier lauréat en a été Charles Agniel, chef de gare principal à Sète, choisi parmi trente autres candidats pour son roman Les laboureurs de la nuit ; les derniers, en 1977, Jean des Cars et Roger Commault pour leur épopée des wagons-lits Sleeping story. Ferlet fut lui-même désigné en 1966 pour son recueil Les contes de ma mère le rail (jury présidé au pied levé par Louis Armand)[18].


Cette appartenance de Roger Ferlet au monde littéraire a largement contribué au rayonnement de La Vie du Rail. Jamais le titre n’a autant été cité qu’à travers lui. Les comptes rendus journalistiques portant sur ses romans – partagés y compris par Le Monde – s’accompagnaient presque toujours de l’évocation de ses fonctions professionnelles. Par répercussion, toute étape de la transformation et de l’essor du titre était régulièrement évoquée par la presse généraliste. Associé à un événement, son nom suffisait également à drainer un public de qualité. C’est l’époque où les grands noms de la littérature ne répugnaient pas à écrire pour le journal. A l’exemple de Maurice Genevoix qui accepte de porter son regard sur ses 500 premiers numéros (« Les 500 numéros de La Vie du Rail vu par un académicien : Maurice Genevoix », 25 juin 1950). Son action en faveur d’Alphonse Daudet participe aussi au mouvement.


Le 21 juin 1966, à quelques mois de son départ de retraite, Ferlet reçoit des mains de Pierre Descaves, gage de la réussite de La Vie du Rail, le diplôme « Prestige de France » qui, décerné annuellement par le Comité de France, a pour vocation « de reconnaître ceux qui contribuent au prestige de la France et à son rayonnement économique, industriel ou culturel ». La cérémonie, qui se tient au Relais gastronomique de la gare de l’Est, réunit représentants de la SNCF, emmenés par Roger Guibert, son directeur général, et personnalités du monde des lettres, notamment Roland Dorgelès, président de l’Académie Goncourt, André Maurois de l’Académie française, Jacques Duron, directeur des Lettres aux ministère des Affaires culturelles.

Sa double casquette d’homme de lettres et de chef d’entreprise prend tout son sens au moment d’organiser son départ en retraite fin 1966. Celui-ci donne lieu à deux manifestations distinctes destinées, l’une, au monde de la presse, des lettres et de la publicité (le 13 décembre dans les salons de l’Hôtel Terminus à Saint-Lazare), l’autre aux membres de la SNCF (le 20 décembre au Cercle international des Transports). A cette dernière, ont répondu présents, entre autres, André Ségalat, président, Roger Guibert, directeur général, Louis Armand, de l’Académie française, secrétaire général de l’UIC, Charles Boyaux et Philippe Dargeou, directeurs généraux honoraires. Dans son discours d’adieu, Guibert a parfaitement su exprimer cette dualité : « Je voudrais également féliciter notre ami Ferlet de ce qu’il est véritablement un homme heureux, un homme heureux parce qu’il a su mener de front et combiner deux métiers : le métier de cheminot et le métier d’écrivain. Ces deux métiers sont tellement imbriqués l’un dans l’autre que bien malin serait celui qui pourrait dire où est le violon d’Ingres, peut-être même pas lui-même… Dans son métier de cheminot, il a déjà satisfait ce besoin inné de tout homme qui est de créer, car il a créé une revue véritable. Il avait tous les dons qu’il fallait pour cela ; qu’il s’agisse de littérature, de technique, d’information, de sens social ou professionnel. Mais il a également créé une œuvre considérable d’écrivain, œuvre consacrée par d’innombrables prix. » Nommé ingénieur principal hors classe en 1966[19], il quitte la vie active en tant que directeur honoraire de La Vie du Rail.

Roger Ferlet décède le 2 février 1983 en son mas de la Vignasse, où il a continué sans relâche à célébrer la figure d’Alphonse Daudet, tout en continuant d’enrichir La Vie du Rail de ses critiques littéraires – sa dernière contribution paraît après sa disparition dans le n° 1880 du 10 février[20]. Il est inhumé au petit cimetière tout proche de Vallon-Pont-d’Arc.

Assurer l’indépendance financière de Notre Métier

En tant que bras droit de Louis Geoffroy (1946), puis de directeur en titre de Notre Métier (1948), Roger Ferlet n’a de cesse de rendre son journal financièrement indépendant à un moment où la SNCF, confrontée à ses propres problèmes (reconstruction), a d’autres soucis que de participer à son développement.


A cette fin, il impose aux cheminots de s’abonner au journal en renonçant à l’idée de le leur distribuer gratuitement comme il était de règle avant-guerre. Et s’il consent un temps de continuer à en autoriser gracieusement l’affichage dans chaque établissement, mesure qui avait été prise pendant le conflit pour les différents bulletins d’informations, il met définitivement un terme à cette pratique dès 1948[21]. Pour obtenir l’adhésion des cheminots, il met en place en 1946, d’accord avec la SNCF, un abonnement annuel payable mensuellement par prélèvement automatique sur leur solde et tacitement renouvelable[22]. En lissant la dépense sur toute l’année, ce système permet de rendre le prix de l’abonnement plus facilement acceptable, tout en s’assurant de la fidélité des souscripteurs, qui, pour se désengager, est contraint de notifier sa décision par écrit.


Un autre moyen d’augmenter la diffusion du journal est la relance de la vente au numéro, en place avant la guerre, dans les bibliothèques des gares. Rendue effective en 1946 également, elle s’adresse en priorité aux non cheminots. Par ailleurs, ceux-ci ont eux aussi la possibilité de souscrire un abonnement annuel payable en une seule fois par compte chèque postal directement adressé au journal. Cette option est ouverte en 1948 aux particuliers résidant en Suisse, Belgique et Luxembourg, puis étendue au Canada.


Le prix de l’abonnement annuel souscrit par les non cheminots est le double de celui consenti aux cheminots. Ce qui se justifie notamment par le coût de l’acheminement : livraison à domicile par la poste pour les premiers, livraison sous pli dans les établissements dont ils relèvent pour les seconds. Le fait que Notre Métier ait reçu du ministère de l’Information, en 1947, son numéro d’homologation le plaçant, du point de vue administratif et fiscal (tarif postal presse), sur le même plan que les autres journaux français ne change pas immédiatement la donne[23]. Seuls les cheminots en voient les avantages, mais à partir de 1951 seulement, en étant servis à leur tour directement à domicile par la poste.


« Votre père aimait bien son métier » (n° 165 , 6 septembre 1948)


Au fil des numéros, les cheminots abonnés sont incités à pousser leurs collègues à souscrire. Les cheminots retraités sont également une cible. Bénéficiant de tarifs préférentiels[24], ils sont sacrifiés en 1949 sur l’autel de la rentabilité. Position sèchement annoncée : « Notre Métier devant équilibrer ses dépenses et ses recettes il ne peut être question de consentir un tarif d’abonnement spécial aux retraités » (n° 188, 28 février 1949). Jouant sur la corde sensible, il est demandé aux fils de leur offrir un abonnement public au prix fort ! La propagande en faveur de Notre Métier se doit de toucher également la clientèle non cheminote : « Diffuser Notre Métier à l’extérieur est devenu un impérieux devoir pour tous les cheminots. C’est principalement aux chefs de gare et aux chefs de section VB que Notre Métier demande de faire, sans délai, un gros effort dans ce sens (…). Chaque cheminot doit comprendre qu’il est de son devoir de contribuer à la diffusion extérieure de Notre Métier (…). Faites-vous l’avocat de Notre Métier, vous vous ferez celui de votre métier (…). Quand vous avez lu Notre Métier, ne le laissez pas dormir dans un coin : faites circuler votre journal dans votre famille et parmi vos amis, mettez-le sous bande, affranchissez à 1 franc et mettez à la poste » (n° 205, 27 juin 1949). La présence du journal dans les expositions et autres foires participe également au mouvement.



A gauche : « Notre métier est un bon métier. Abonnons-nous ! » (n° 200, 23 mai 1949)

A droite : « Notre diffusion » (n° 188, 28 février 1948)


À l’été 1949, Notre Métier peut crier victoire, sans pour autant baisser la garde : « Il EST IMPORTANT QUE VOUS SACHIEZ que Notre Métier, qui est vraiment le journal des cheminots, ne vit que du seul produit de ses abonnements et de ses ventes et qu’ayant réalisé ainsi l’équilibre entre ses dépenses et ses recettes, il a pu échapper aux difficultés financières de la SNCF à laquelle il ne coûte plus rien. Pour affermir encore cette situation plus que jamais FAITES DES ABONNÉS » (n° 212, 29 août 1949). Ferlet est catégorique : « A partir de 1950, le bilan de La Vie du Rail est sévèrement équilibré. La Vie du Rail paie son personnel, charges comprises, paie ses locaux, etc., et cela de la façon la plus stricte et la plus indiscutable » (n° 1000, 13 juin 1965 – la présentation du bilan des 20 ans du journal est préfacée par Pierre Gaxotte, de l’Académie française).

Notre Métier devient La Vie du Rail



Changement de titre (LVDR n° 1000 du 13 juin 1965)


Le changement de titre, de Notre Métier à La Vie du Rail, est un autre chantier mené à bien par Ferlet. Si le titre Notre Métier est maintenu dans les années qui suivent, son sous-titre évolue progressivement : de L’hebdomadaire illustré du cheminot français (n° 87 du 7 janvier 1947), il devient successivement L’hebdomadaire du cheminot (n° 176 du 6 décembre 1948), puis L’hebdomadaire de La Vie du Rail (n° 252, du 5 juin 1950) et, enfin, La Vie du Rail tout court (n° 296 du 23 avril 1951). L’adoption de ce dernier sous-titre est le prélude à la modification du titre du journal qui intervient huit mois plus tard, Notre Métier/La Vie du Rail devenant officiellement La Vie du Rail/Notre Métier (n° 328 du 24 décembre 1951), les deux composantes étant traités à égalité. La première s’impose définitivement l’année suivante, sa rivale étant réduit à un sous-titre minimaliste (n°338 du 3 mars 1952). Il faut cependant attendre 1958 pour que soit effacée la dernière référence à Notre Métier, le titre du journal se limitant désormais à la seule mention de La Vie du Rail (n° 628 du 5 janvier 1958).


Dans son numéro du 3 mars 1952, la rédaction explicite la raison de l’adoption de La Vie du Rail comme nouveau titre du journal : « Ce n’est pas sans un regret que nous nous voyons obligés de faire passer au second plan ce titre de Notre Métier qui, pendant six ans, a été le drapeau du succès […]. Mais le succès lui-même impose des devoirs. De plus en plus apprécié à l’extérieur de notre corporation, notre hebdomadaire doit aller au-devant des sympathies manifestées par la clientèle du chemin de fer, par les amis du rail, ou, plus généralement, par ceux qui comprennent que la question des transports nationaux ne peut évoluer que dans un climat d’objectivité favorable à l’intérêt général. Le titre Notre Métier était trop fermé, trop peu explicite pour permettre d’annoncer clairement notre but à nos amis de l’extérieur. La Vie du Rail, au contraire, évoque tout de suite le caractère à la fois vivant et spécialisé de notre publication. Il nous permet une présentation plus directe ; il dit plus nettement ce que nos pages renferment et nous ne doutons pas que cette clarté facilitera le ralliement de tous ceux qui désirent venir agrandir le cercle de nos lecteurs et amis. »


Se remémorant cet épisode en 1985, Jean Salin, écrira : « Cependant, la transformation la plus importante va être le remplacement de Notre Métier par La Vie du Rail, une opération qui débutera fin 1950 et prendra quelques dix-huit mois. Car le changement de titre s’effectuera par petites touches, afin de ne pas heurter les lecteurs. Nombreux pourtant seront ceux qui, lecteurs de la première heure, auront quelques difficultés à abandonner le titre initial. Et je ne suis pas certain que celui-ci ait totalement disparu de leur vocabulaire » (n° 2000, 27 juin 1985).



Spécial Electrification (n° 191, 21 mars 1949)

L’inflation galopante des premières années d’après-guerre a conduit à des augmentations à répétition du prix des abonnements. Ainsi, le prélèvement mensuel de l’abonnement cheminot passe de 10 à 40 francs (de janvier 1946 à janvier 1949[25]), celui du prix annuel de l’abonnement public de 240 à 900 francs et celui du prix au numéro de 3 à 40 francs (de janvier 1946 à janvier 1952). Notre Métier justifie ces augmentations en se retranchant derrière les charges et les frais d’impression imposées aux entreprises d’édition, mais se défend d’être bien inférieur aux prix affichés par les autres hebdomadaires. Surtout, il met en avant les améliorations constantes apportés au journal :

  • format : 22 x 30 cm en 1945, 27 x 35,5 cm en 1946, 24 x 31 cm en 1952 ;

  • pagination : 4 pages en 1945, 8 pages en 1946, 12 pages en 1947, 20 pages en 1948, 32 pages en 1952, 40 pages en 1958 ; 52 pages en 1966 ;

  • impression : sur « papier bulle (pâte grossière) en 1945, par héliogravure avec titre en couleur pour la couverture et nombreuses illustrations en 1946, par héliogravure avec couverture en quadrichromie en 1952 (n° 330 du 7 janvier 1952). Après la couverture, la couleur ne gagne de façon permanente l’intérieur de la revue qu’en janvier 1958, mais de façon modeste. Il faut attendre 1966 pour que la revue s’étoffe régulièrement de quatre pages couleurs intérieures.

Sans oublier la publication régulière de numéros spéciaux. Destinés à tenir ses lecteurs « au courant de l’actualité technique ferroviaire et des grandes questions à l’ordre du jour » et rédigés de façon « à les mettre à la portée de tous », ils sont proposés sans supplément de prix aux abonnés (n° 190, 14 mars 1949). Le premier est consacré à « L’électrification » (n° 191, 21 mars 1949)[26]. Il est suivi des « Chemins de fer en Afrique du Nord » (n° 201, 30 mai 1949) et de la question « Rail et Route » (n° 225 du 28 novembre 1949).

Sur la voie du succès


Le succès est au rendez-vous : 40 700 abonnés en 1947, 129 650 en 1949, 139 550 en 1951 … Le 150 000e abonné est fêté en 1953, le 200 000e en 1958, le 250 000e en 1966. Parallèlement, le tirage moyen ne cesse d’augmenter : 105 000 en 1947, 209 500 en 1957, 260 000 en 1963, 289 200 en 1965. Le n° 200 du 23 mai 1949, est tiré à 123 000 exemplaires, ce qui, aux dires de Notre Métier « constitue (alors) le plus fort tirage des revues ferroviaires du monde entier ».


Cette réussite repose en grande partie sur un réseau de « correspondants » entièrement réorganisé. Rendu opérationnel en novembre 1946, il est plus dense qu’avant-guerre. Présents sur tout le territoire à raison d’un pour chacun des arrondissement Exploitation, Matériel et Traction, Voie et Bâtiments de chaque Région. Au nombre de 180[27], leurs attributions consistent essentiellement à envoyer des échos et des informations à la rédaction et à représenter sur place le journal. En juin 1949, soucieux d’aller au plus près du terrain, Notre Métier les invite à désigner des correspondants à l’échelon inférieur (établissements) et incite même les agents intéressés à candidater directement. Ils seront plus de 2 000 en 1955, rouage essentiel à l’élaboration des « pages régionales » qui font une timide apparition en 1952[28]. Pour leur information, Ferlet écrit en 1950 un opuscule : Au service du métier. Essai sur les problèmes d’un hebdomadaire corporatif (Vigot Frères Editeurs, 61 p.) qui précise la raison d’être de Notre Métier et en décortique les rouages.


La Vie du Rail c’était aussi une photothèque ferroviaire inestimable. Dès sa renaissance le journal annonce qu’il est « en quête de tous documents photographiques susceptibles d’intéresser ses archives, sa rubrique "Vie de la SNCF", sa chronique des événements de la libération et de la guerre » (n°3, 10 novembre 1944) ; il précise qu’il rémunérera les documents publiés. Un nouvel appel est lancé en 1946 pour « toutes photos d’actualité ferroviaire », celles retenues pour les couvertures donnant lieu « à l’octroi d’une prime supplémentaire[29] » (n° 66, 5 juillet 1946). Il précède de peu l’annonce l’organisation par Notre Métier de son premier « concours de reportages photographiques » ouvert à tous les cheminots et à leur famille (n° 69, 26 juillet 1946), reconduit régulièrement pendant plusieurs années (clos le 30 octobre).


Almanach du cheminot (n° 172, 8 novembre 1948)

En 1947, Notre Métier se fait éditeur. Il assure l’impression et la vente d’un certain nombre de publications de caractère social et médical. Tels sont les « Cahiers de l’apprentissage » et les « Cahiers des services sociaux ». Si ces publications sont adressées en priorité aux divers Services commanditaires, tous les agents peuvent en faire l’acquisition en s’adressant directement aux bureaux du journal (achat sur place ou envoi postal). Il crée également sa propre collection des « Guides pratiques de Notre Métier », avec pour premier titre Le guide du jeune ménage cheminot [30]. La Vie du Rail fait ses premiers pas dans la publication pour le grand public de façon très occasionnelle avec le premier Catalogue de timbres ferroviaires (1959), Le train dans la littérature française de Marc Baroli (prix Chatrian 1964) et Chemins de fer, d’aujourd’hui et de demain de René Pollier (prix Chatrian 1965). Dans le domaine proprement journalistique, elle lance en 1949 L’Almanach du cheminot (annuel, devient L’almanach du Rail en 1961) et en 1954 La Vie du Rail Outre-Mer (mensuel).


Enfin pour les lecteurs de La Vie du Rail les plus anciens, nostalgiques des « Cadets du rail » pour certains), citons encore pour mémoire les créations iconiques qu’ont été le « Louis d’or de l’amabilité » destiné à développer l’esprit commercial et le service-client (1954) ou le « Jeu du plus gros poireau » qui récompense les cheminots ayant cultivés des légumes pu des fruits de dimensions exceptionnelles (1959).


Pour terminer, n’oublions l’influence de La Vie du Rail sur la création des journaux d’actualité ferroviaire italien (Voci della Rotaia en 1958) et espagnol (Via Libre en 1964).


 

Notes et références

[1] Ecole centrale de Lyon depuis 1970. D’étroits intérêts lient depuis longtemps le PLM à L’Ecole centrale lyonnaise qui lui fournit nombre de ses ingénieurs.


[2] Louis Geoffroy, rédacteur en chef du Bulletin PLM (1929-1937) et de Notre Métier ancienne (1938-1939) et nouvelle (1944-1948) formule.

[3] Première étude, « Quelques notes sur la Suède », publiée en novembre 1932 à l’issue d’une mission que lui a confiée l’Administration de la Foire de Lyon.

[4] Tyra Ferlet fut elle-même journaliste, apportant quelques contributions à La Vie du Rail. Elle est l’auteur de deux études remarquées sur ses terres natales : « Miracle de la Suède. Un pays pauvre devenu riche » (1969) et « La Scandinavie que j’aime » (1975).


[5] De l’ouvrier à l’ingénieur en chef, une soixantaine de cheminots « résolus » participent à cette assemblée.


[6] L’Association se défend cependant d’entrer en concurrence avec l’AFAC, ni avec toutes autres sociétés cheminotes mutualistes ou de loisirs. De nombreuses actions sont organisées en commun.


[7] Dans la foulée du grand concours de dessins proposé par le premier numéro de Notre Métier à ses lecteurs de moins de 12 ans, l’Association organise entre janvier et juillet 1939 pas moins de quatre concours dotés de nombreux prix.


[8] Cité à l’ordre de la Nation pour avoir contribué à abattre un avion ennemi volant à basse altitude, il se verra délivré la Croix de guerre 39-45.

[9] Renseignements hebdomadaire SNCF, édition spéciale « Pour nos prisonniers », n° 95, 30 juillet 19843 (chapitre : « Quand des rapatriés nous reviennent »).


[10] Louis Geoffroy, « A propos d’"Ardesco", roman de Roger Ferlet », Notre Métier, n° 80, 15 novembre 1946.


[11] Un retour à la liberté marqué par la naissance à Courbevoie, en avril 1946, d’Armand, enfant unique du couple, médecin, décédé en 2007.

[12] En raison du déménagement, la parution du n° 52 du journal est repoussée du 22 au 29 mars. Adresse historique abandonnée fin mai 2016, La Vie du Rail se déplaçant au 29, rue de Clichy.


[13] Il avait été nommé chevalier à titre militaire en 1950.

[14] Ardesco, La Madrague et Valentine constituent une trilogie : La terre vivaroise.

[15] Dont Je vivrai plus tard (1960), La pire des choses (1962), Les contes de ma mère le rail (1966), Dans l’attente du train (1967), Récits d’Islam (illustration d’Henri Vincenot, 1970), Dieu habite à Stockholm (1975), L’arbre de Castille (1976).


[16] Ferlet a consacré trois ouvrages à sa terre d’adoption : Le Vivarais (1970), Voyage à travers le Vivarais (1975), Le Vivarais d’antan (1981).


[17] Pierre Descaves (1896-1966) écrivain et homme de radio, président de la Société des gens de lettres (de 1950 à 1952), administrateur général de la Comédie-Française (de 1953 à 1959), président du Conseil supérieur de la Radiodiffusion-télévision française (de 1959 à 1964), président du Comité des programmes de la R.T.F. (de 1965 à 1966)

[18] Ferlet a publié un opuscule sur le sujet : Les 20 ans d'existence du Prix Chatrian de littérature ferroviaire (Impr. G. Lang, 1969, 14 p.). Parmi les divers autres lauréats (Etienne Catin, Henri Vincenot, Jean Robert, Michel Doerr, Maurice Maillet, etc.), retenons, en 1975, François Caron, président du Comité scientifique de l’AHICF de 1988 à 2012, pour son Histoire de l’exploitation d’un grand réseau. La compagnie du chemin de fer du Nord 1846-1937.


[19] Ingénieur en 1954, ingénieur principal en 1962 (attaché à la direction du Personnel).


[20] Il fut aussi un temps chroniqueur au quotidien La Croix.


[21] Le n° 156 du 21 juin 1948 est le dernier à bénéficier d’un affichage au sein des établissements. Dorénavant, seules sont affichées les pages qui portent des renseignements administratifs, pages qui font l’objet d’un tirage à part.

[22] Campagne d’abonnement lancée avec le n° 43 du 18 janvier 1946. Les cheminots relevant de l’Office des chemins de fer algériens (OCFA, 1939), puis de la Société nationale des chemins de fer français en Algérie (SNCFA, 1959) en bénéficient à partir de 1947.


[23] Dans le n° 2000 du 27 juin 1985, Jean Salin, rédacteur en chef de Notre Métier depuis 1947, témoigne :« En ces années, Notre Métier trouvait sa place dans le Syndicat de la presse hebdomadaire parisienne […] et dans la Fédération nationale de la presse française […]. Cette insertion permettait à la publication de bénéficier des mêmes conditions d’édition que celles accordées par la loi à tous ses confrères de la presse, avantage capital si l’on sait que cela apportait alors des facilités d’approvisionnement en papier alors si difficile à se procurer et permettait en outre de se voir appliquer le tarif postal presse, nécessité fondamentale pour un périodique diffusé à 80 % par abonnements. »


[24] Demi-tarif sur l’abonnement par prélèvement trimestriel sur leur pension (les numéros sont à retirer à la gare la plus proche de leur domicile) et sur l’abonnement annuel servi par la poste.


[25] A partir de février 1949, les bulletins d’abonnement correspondant n’indiquent plus son coût.

[26] Ce premier numéro spécial souffre des pénuries de l’époque : le sujet n’arrivera à tenir en 52 pages qu’en usant du corps 6, sinon 5, en restant à la limite de la lisibilité.

[27] Y compris les correspondants des Services centraux et du Détachement d’occupation en Allemagne (DO).

[28] D’abord publiées au sein de l’édition générale, elles apparaissent sous forme distincte en mars 1952, insérées dans des suppléments réservés aux abonnés cheminots. Mais ces tirages « à part » n’auront pas de parution régulière mensuelle avant plusieurs années.


[29] Le premier à bénéficier de cette prime est un lecteur de Strasbourg, M. Jehle, pour une vue du viaduc de Chaumont publiée en couverture du n° 71 du 13 septembre 1946.

[30] Suivent Les soins généraux au malade, La femme enceinte, La réparation des chaussures à la portée de tous, etc.

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